1995/1996. Je marche… beaucoup… pour échapper aux ombres de l’esprit qui se meuvent en périphérie de mes humeurs. Cette marche ou « crève » a pour elle de me faire découvrir des ruelles à l’existence insoupçonnée. La dame pâle qui me hante depuis mon enfance me protège en murmurant à mon instinct de survie, par ses complaintes inaudibles sur ce plan, d’éviter certains recoins nauséabonds violentés par les hommes, de cette ville industrielle où je réside alors.
En ce dimanche impitoyable (J.R Ewing aurait remplacé le jour dominical par univers), me renvoyant aux instants nostalgiques passés devant mon Amstrad cpc, ce pont de bitume semblable à un arc-en-ciel monochrome me mène tout droit vers une « anomalie » architecturale. Elle est là, debout, sous la grisaille, encadrée par deux habitations pour qui l’originalité est un luxe inaccessible. Il y a tout d’abord cette grille en fer forgé (tout du moins c’est ce que mon expérience inexistante en ce domaine qu’est la métallurgie me souffle) que le temps n’a pas épargné. Les murets effrités soutenant à bout de pierre ses supports brouillent les pistes de ma perception.
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L'idée est là... |
Au-delà de cette barrière à la gloire passée, s’étend un petit chemin dont les gravillons se voient bousculés par quelques herbes folles. Le règne de cette verdure sans maître s’arrête face à quelques marches où pierres et béton forment un patchwork dissonant. Ces dernières mèneront mon regard sous ce porche dont les piliers, jadis colorés par une teinte bleu pastel, se veulent désormais fissurés. Mais la vedette de cette ensemble, outre son toit rappelant quelque peu le manoir de la famille Addams, est bien cette petite tourelle se dressant fièrement à gauche de l’édifice, à moins que ce ne soit cette fenêtre en forme d’œil de bœuf à l’étage.
En cet instant je m’imagine déjà à l’intérieur, scrutant par cette élégante fenêtre les passants importuns qui oseraient jeter un regard par-dessus le muret. Le panneau « à vendre », cible des intempéries solidement accroché à la porte d’entrée prend l’allure d’un gardien que l’on ne peut soudoyer, mettant un terme à ma rêverie. De plus mes jambes crient grâce et il est temps pour moi de retrouver cette chambre que j’occupe alors chez mes parents. Poussé par la fatigue physique, peut-être trouverais-je le sommeil qui me fera ainsi oublier ce futur lundi me voyant reprendre mon poste dans cette usine, face à ces machines assourdissantes aux copeaux métalliques dévoreurs de chair.
Quoiqu’il en soit, le salaire obtenu par mon être physique, ma psyché ne ratant pas l’occasion de se faire la malle dès qu’elle en a l’occasion, me permet d’acheter des livres. J’aimerais vous dire que je déniche les différents auteurs qui composent la collection « terreur » de chez « Pocket » au cœur des rayons d’un obscur libraire en centre-ville mais il en n’est rien. C’est sous les néons à la lumière crue de l’hypermarché local, au détour d’un panier de course, que je flâne parmi les couvertures noires à l’écriture rouge. Le moins que l’on puisse dire c’est que le rayon est fourni, trop même pour mon esprit qui ne sait plus où… donner de la tête. Pourtant, ce dernier jettera son dévolu sur l’une d’elles : « Maison hantée » écrit par Shirley Jackson.
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Lorsqu'on aime on ne compte pas paraît-il... |
Étrange, ce nom trouve quelque résonance en moi. En lisant la quatrième de couverture, le souvenir remonte par-delà les brumes de l’oubli… Mais oui… Souviens-toi (pas l’été dernier)… « La maison du diable » réalisé par Robert Wise en 1963… tu faisais semblant de dormir sur le canapé… et te voilà terrorisé! Il ne m’en faut pas plus pour saisir cette chance de découvrir le roman original ayant inspiré le long-métrage m’ayant tant effrayé enfant.
En voici le résumé: Le Dr Montague, versé dans le domaine de la parapsychologie, réunit trois personnes au cœur d’une ancienne bâtisse ayant la réputation d’être hantée: Hill House construite jadis d’après les plans de Hugh Crain, un riche propriétaire terrien. Si Eleanor et Théodora présentent, différemment, une sensibilité au paranormal, Luke fait partie du groupe uniquement parce que sa tante, désormais héritière de Hill House, a souhaité qu’un membre de sa famille s’assure du bon déroulement des évènements.
Au fur et à mesure que le séjour se déroule, Hill House accentue son emprise sur Eleanor. Je n’en dirai pas plus si d’aventure vous n’aviez jamais lu ce fantastique classique. Oui, je m’emporte un peu, beaucoup même, mais cette rencontre avec Shirley Jackson au travers de ce roman a littéralement bouleversé mon monde littéraire et d’une certaine manière une partie de ma vie. Si La maison est incontestablement l’entité principale du roman, ce sont bien les états d’âme d’Eleanor qui nous guideront le long de ces lignes. Alors que la fatigue s'empreint à m'extirper de ma lecture, je résiste (peut-être afin de prouver que j'existe), impossible pour moi de m'arrêter (malgré les demandes d'un certain homme politique). A maints égards, je me suis senti proche de la jeune femme alors que cette dernière accuse la perte de sa mère et doit batailler avec sa sœur pour emprunter la voiture commune le temps du séjour.
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Drapée dans son manteau ténébreux, Hill House attend... |
Alors que les kilomètres défilent, un peu à la manière de Marion Crane dans Psychose, je me suis parfois presque senti au côté d’ Eleanor qui se met à rêver de trouver ne serait-ce qu’une modeste maison comme celle qu’elle vient de croiser, avec ses deux lions de pierre, au détour d’un chemin. La demeure de Hugh Crain ne sera d’ailleurs qu'un leurre et Eleanor devra se débattre non seulement avec ses pensées mais également avec le regard des autres.
Je l’évoquais lors des quelques lignes précédentes, le roman de Dame Jackson a été adapté par trois fois en tout sur le grand et petit écran. Tout d’abord avec « La maison du diable » (offrant au passage une légère modification intéressante), pour son titre français, de Robert Wise avec Julie Harris dans le rôle d’ Eleanor puis en 1999 sous la caméra de Jan de Bont avec Lily Taylor, Liam Neeson, Catherine Zeta Jones et Olwen Willson sous le titre Hantise. Je n’ai d’ailleurs pas du tout apprécié ce remake faisant figure de « Train fantôme qui tâche » avec ses effets spéciaux grossiers. Je me souviens nettement de ce dimanche après-midi, plongé dans les ténèbres du cinéma local, mes yeux animés par la déception alors que je souhaitais absolument voir le film dès sa sortie.
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Taken avec Liam Neeson... euh pardon Hantise! |
La troisième adaptation nous viendra d’une plateforme de streaming tendance, sous forme de série en 2018, et sera une excellente surprise au final avec Thimoty Hutton. Enfin, même si elle n’est pas une adaptation directe, "Rose Red" de Stephen king sera un formidable hommage à l’œuvre originelle, parsemée de clins d’œil. D’ailleurs l’auteur a toujours clamé que « The haunting of Hill House » est le meilleur roman fantastique de ces cent dernières années et il en utilise les premières ligne en abordant « Salem » (un autre excellent roman à mes yeux).
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Un très bel hommage |
Ce que je regrette le plus c’est sans doute l’absence d’une édition digne de ce nom pour « The Haunting of Hill House » en France, l’œuvre devant se contenter uniquement du format poche. Néanmoins, son passage de « Pocket/terreur » à « Rivages/noir » nous a permis de bénéficier d’une révision de sa traduction initiale, révision opérée par Fabienne Duvigneau. Quoiqu’il en soit, si vous décidez de franchir le pas et peut-être découvrir « Maison hantée » de Shirley Jackson, peu importe l’édition choisie (sachant que la première, « Pocket » donc, est désormais plus difficile à trouver, je ne parle même pas de celle du « Masque fantastique »). Toutes vous permettront d’accompagner Eleanor dans cet éprouvant séjour.
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Une édition à un prix décent svp... |
« Aucun organisme vivant ne peut demeurer sain dans un état de réalité absolue. Même les alouettes et les sauterelles rêvent, semble-t-il. Mais Hill House, seule et maladive, se dressait depuis quatre-vingts ans à flanc de colline, abritant en son sein des ténèbres éternelles…/… Ce qui déambulait ici, scellé dans le bois et la pierre, errait en solitaire. »
Shirley Jackson – The Haunting of Hill House
Ah mince, j'allais oublier la conclusion de Miss.P:
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Et mes croquettes alors? |