mardi 10 janvier 2023

Eliot et le printemps

1989. Le printemps semble vouloir s’installer pour de bon, sa luminosité généreuse dispensée par son émissaire solaire incite les parents à sortir la petite table dont la couleur anisée a subie les assauts d’un hiver plutôt rude. Les portes de la véranda sont quant elles prêtes à accueillir la douceur des températures s’engouffrant ainsi jusqu’au cœur de la maison. D’ailleurs des invités, portés par des effluves apéritives, ne tardent pas à s’inviter sans omettre les politesses d’usages. Les rumeurs de leurs conversations parfois passionnées, ont tendance à troubler la tranquillité environnante que j’affectionne tant, cette dernière me mettant à l’abri d’une réalité dont j’ai tendance à me détacher, plus que mon père ne le souhaiterait, lorsque je suis devant mon ordinateur ayant troqué ses cassettes pour des disquettes depuis quelques temps. 

Laissant ma discrétion faire fi des salutations obligatoires, me voici de nouveau en mon sanctuaire, laissant derrière moi les discussions économiques ou politiques qui se frayent un chemin à travers les gâteaux apéritifs et arachides ornant ces horribles plateaux aux couleurs criardes. J’ai un combat tout aussi important à mener: enrayer la prohibition en incarnant Eliot Ness épaulé par son équipe d’incorruptibles. Et si je peux me lancer dans cette aventure c’est une fois de plus grâce à l’éditeur OCEAN qui nous offre ici une adaptation de qualité, celle du film réalisé par Brian De Palma en 1987 avec un casting prestigieux: Kevin Costner dans le rôle principal, Sean Connery, Andy Garcia et Robert De Niro dans celui de Al Capone. Même si j’ai réellement aimé le long-métrage il ne peut effacer la  série culte en noir et blanc avec Robert Stack que j’ai souvent regardé avec ma mère. 

Le vrai Eliot Ness, Robert Stack et Kevin Costner

Je ne vais cependant pas manquer l’occasion de me glisser en cette époque qui m'interpelle d’une certaine manière (j’ose ici glisser les termes « vie antérieure ») et c’est donc avec plaisir que je me saisis de la boîte , faisant toujours état de cette impression qualitative, avec son carton respirant la solidité, son sachet estampillé OCEAN contenant la disquette à l’étiquette blanche. Le soft reprend les scènes principales du film comme un peu toutes les adaptations de l’éditeur mais ce qui change ici c’est l’intelligence dont ont fait preuve les éditeurs en y ajoutant la patte  graphique de la série donnant au jeu une aura particulière.

Ces détails qui font le charme du jeu

Si le premier niveau ne pose aucun soucis c’est surtout sur le second que ma mauvaise humeur s’abat (sans le groupe trouvant que « l’argent doit être amusant dans un monde d’hommes riches »). Ce dernier offre la possibilité de faire appel à toute l’équipe (mention à la digitalisation des acteurs sur la sélection du perso) et ceux que l’on surnomment « Les incorruptibles » doivent intercepter une cargaison d’alcool illicite en tirant sur les barils qui apparaissent, le tout allongé, roulant sur eux-même pour tenter d’éviter autant que possible les tirs nourris des ennemis (surtout ces petits saligauds qui nous lancent des cocktails molotov). Le point noir vient du personnage que l’on dirige, celui-ci étant assez lent la vie nous quitte plus vite que le « quickening » dans « Highlander ». Il me faudra du temps avant que je ne puisse le passer et enfin connaître le troisième niveau qui comptait par la suite parmi mes préférés. Autre différence donc par rapport aux précédentes adaptations chez OCEAN, la difficulté qui ne m’a pourtant jamais rebuté, effacée par la qualité globale du jeu tant sur les graphismes, la musique, que sur les petits détails comme par exemple les écrans intermédiaires entre chaque niveau.

Mais roule b... roule!!!!

Mais j’allais abandonner les incorruptibles à leur combat pour quelques temps, devant préparer mon sac en vue d’un voyage scolaire en Albion. Ainsi j’allais bientôt poser le pied sur le sol anglais, patrie de Sir Sugar, le business man sans lequel je n’écrirais pas ces lignes… Quant au jeu de OCEAN j’y reviendrais souvent par la suite, le terminant au détour de l’hiver suivant, un soir où le brouillard attiré par les faveurs de la nuit m’offrait un paysage aux allures lunaires.

mercredi 4 janvier 2023

Le gang des Thomson

1988. Au collège, le repas du midi s’achève et c’est d’un pas alerte que je parcours les couloirs pour atteindre l’étage. En ces heures "creuses", les lieux habituellement nourris par le brouhaha des changements de salle me paraissent soudainement propices à un épisode de la série « Histoires singulières » initialement diffusées sur FR3 le vendredi soir de mémoire à l’époque (un peu plus tôt). Alors que les semelles de mes tennis Adidas estampillée « Ilie Nastase » crissent sur le sol, les ombres de mes anciens harceleurs, fléaux de mon année de sixième, semblent toujours hanter ces murs, surtout mes pensées en réalité. Mais les aiguilles suivent leur cycle et il n’est plus temps de ressasser ces sombres moments. Ma destination: la salle multimédia où le professeur de maths m’attend. 

Eh ouais, la classe... enfin dans les années 80 et pour moi!

Nous sommes un petit groupe à nous intéresser quelque peu à la micro informatique, nos motivations étant différentes et propres à chacun. Depuis 1987, je dois avouer que le côté purement technique de mon Amstrad CPC 464 m’échappe un peu, beaucoup même, mon utilisation principale étant dédiée au jeu vidéo alimentant mon imagination. Aussi, lorsque la possibilité de participer à une initiation informatique autre que mon utilisation habituelle s’est présentée à moi, j’ai saisi l’occasion… sans oublier également l’aspect « confort » comme par exemple ne pas affronter le froid glacial dans la cours de récréation lors des hivers rigoureux. Qui plus est les machines utilisées sont des ordinateurs Thomson MO5 que je ne connais absolument pas, ajoutant ainsi la curiosité de découvrir un nouvel univers. 

Une fois les portes battantes séparant l’aile science/technique des autres salles, j’atteins bientôt ma destination mais reconnais déjà des voix qui augurent quelques « remous » dirons-nous. Il y a tout d’abord le prof de maths, un homme plutôt marginal dont l’apparence se rapproche de l’image caricaturale que l’on peut se faire du scientifique un peu fou. D’ailleurs, lors de regards périphériques, j’ai pu relever des moqueries dans les yeux de ses collègues et je ne parle bien entendu pas des élèves. Pour ma part je n’ai aucun problème avec lui, je le respecte et bien que mon niveau en maths soit catastrophique, c’est réciproque. L’homme a aussi quelques soucis « spiritueux », j’ai déjà eu l’occasion de les sentir et ressentir dès le matin alors qu’il s’approche de moi pour m’expliquer un exercice non assimilé. Et puis il y a… un petit groupe d’élèves… avec qui je ne m’entends pas très bien. 

L'ordinateur de la discorde...

Parmi eux une forte tête qui me renvoie une animosité toute particulière, m’accueillant par un amical « dégage l’Amstrad , ici c’est pour ceux qui s’intéressent vraiment à la technique ». Le professeur ne l’a pas entendu, occupé à imprimer des listings que nous devrons par la suite appréhender puis retranscrire sur la machine et quand bien même, sa personnalité éthérée ne l’aurait sans doute pas capté. J’aurais aimé vous dire que j’ai fait manger chaque touche molle caractéristique des MO5 à ce rustre mais en cet instant je me contentais de m’asseoir à quelques chaises du petit groupe. Qui plus est, l’élève en question fait partie du club de Judo auquel j'ai également adhéré (une carrière éclaire dont je vous parlerai peut-être dans le cadre d’un jeu ), il est ceinture marron, moi ceinture jaune et blanche (oui la vraie lose quoi!). Après ce charmant accueil, l’activité commence, un copain arrive un peu en retard, sa classe étant passée en dernière à la cantine. Je me sens soulagé de ne plus être seul. 

Ouais ben pas trop sur ce coup là...

Mon pote et moi retranscrivons non sans mal le listing, bourré d’erreurs par des oublis de notre part. De son côté le « gang des Thomson » comme je les ai surnommé (intérieurement) exulte. Etant plus avancés, ils ont champ libre pour bidouiller, fier d’avoir réalisé la retranscription du titre de la série culte « Airwolf » par le biais d’une animation sur une grille. Le chef du gang capte mon regard attiré par l’effet et ne se prive pas de renchérir: « eh ouais ça c’est la classe »… Bien que mon esprit me suggère tout un tas de réponse comme le « Terminator » de James Cameron, je retourne silencieusement à notre exercice. Le professeur de maths nous épaule, faisant totalement abstraction des moqueries dont nous sommes la cible mon pote et moi. Mais l’activité doit cesser, la sonnerie s’apprête à retentir annonçant la reprise des cours mais aussi l'égrènement des longues heures me séparant de mon cpc 464…. Tant mieux je vais en avoir besoin pour sûr. Par la suite, je déserterais le club informatique avec néanmoins la satisfaction d’avoir découvert un nouvel ordinateur. Je ne sais ce qu’est devenu le « gang des Thomson » et à vrai dire cela n'a que peu d’intérêt pour moi. Peut-être ont-ils terminés les doigts collés sur le clavier des MO5 aidé par le gras des frites de la cantine? Quant au professeur de Maths, je ne sais non plus ce qu’il advint de lui mais à l’époque j’avais pu ressentir en lui quelques soucis de santé. Quoiqu’il en soit je salue sa mémoire.

mardi 3 janvier 2023

Le ninja et la lune

Janvier 1989. Les effluves de cette fin d’année 1988 se parent à présent d'ombres, les vacances sont terminées et c’est avec une amertume à peine déguisée que les cours au collège ont repris. Comme je l’ai évoqué dans un autre article, de nouveaux softs sont venus enrichir ma « cpcthèque », restant en ma mémoire contrairement à la neige, cette dernière laissant peu à peu la place au gel.

En ce mercredi soir, ma chambre est encore emplie des notes de la chanson « Wrapped around your finger » du groupe « The Police" dont le clip voyait Sting tout de blanc vêtu prévenir son maître qu’il le surpasserait sous peu. Mais ma chaîne hi-fi au souffle prononcé se tait bientôt pour entendre le haut-parleur de mon cpc 464 délivrer une toute autre mélodie, celle du chargement des données. Les bandes de l’écran de chargement s’agiteront au grès du flux des informations transmises, laissant les prochaines minutes promettre qu’au bout de quelques instants, « The Last Ninja 2 » me permettra d’essayer de guider Armakuni vers son ennemi juré. Sur la moquette beige passée, mon sac tassé contre un coin de mon bureau déjà prêt pour une nouvelle journée de collège me rappelle que je dois profiter de chaque instant tandis que le plastique du moniteur est partiellement éclairé par ma lampe de bureau bleue articulée. D’ailleurs celle-ci fait état de quelque poussière « menaçant » ma machine, je m’empresse de chasser ces quelques grains avec un chiffon dormant dans l’un des tiroirs de mon bureau, parmi divers artefacts précieux tels que des gadgets, reliques d’anciens PIF. Une fois cette disgrâce balayée, l’étrange musique du jeu de System 3 s’élève dans l’air chaud de la pièce. C’est lors de ces instants saisis à la volée qu’une voix intérieure me chuchote: « Apprécie la chance que tu as ».

Bien évaluer son saut...

Je dois refaire le premier niveau, mais commençant à bien connaître ce dernier j’arrive assez rapidement au second malgré quelques écueils concernant les sauts à certains endroits. Là encore quelques repères m’aident à progresser mais il me manque des objets, notamment la clef, sésame permettant d’ouvrir la plaque d’égout du troisième niveau. Au détour d’une rue j’oublie les dangers urbains et ne prête pas attention au feu tricolore… me voici au sol, renversé par une moto. Il semble que Armakuni ne soit pas tout à fait prêt à appréhender ce monde étrange qui l' entoure. A l’extérieur, le son de la cloche d’entrée me prévient d'une visite inopinée, les rumeurs de salutations m’indiquent qu’il s’agit du voisin habitant juste en face de chez nous. L’heure du repas sera quelque peu décalée me permettant ainsi de retenter ma chance, mais après avoir perdu ma dernière vie j’avoue être gagné par la lassitude d’autant que cette lune froide d’hiver attire mon attention en laissant étendre ses pâles rayons par ma fenêtre. D’ailleurs je ferais mieux de fermer les volets si je ne veux pas subir la remontrance paternelle concernant l’isolation. Le contact avec l’aluminium de la menuiserie se veut froid, l’air glacial saisit mon visage, pour autant la beauté de l’astre cendré termine de m’hypnotiser une fois de plus et après avoir fermé mes volets puis mis mon Amstrad hors tension, me voici fin prêt à aller admirer la beauté de la nuit, la musique de « The Last Ninja 2 » encore à l’esprit.

A System 3 j'y vais...

Souhaitant éviter rompre le charme de cet instant, je sors par la buanderie à quelques pas de mon sanctuaire, chaudement vêtu, pour éviter les salutations liées à la courtoisie de mise lorsqu’un visiteur se présente. Là, sur les dalles pour la plupart ébréchées qui composent la petite terrasse sur le côté de la maison, j’embrasse la nuit à plein poumon, mon souffle ressemblant à celui d’un dragon anémique. Au loin, derrière la haie d’arbres décharnés par les affres hivernaux, les lumières publiques du petit village voisin ne ressemblent guère plus qu’à des timides feux-follets venus jouer des tours espiègles aux vivants égarés. Combien de temps resterais-je à m’imprégner de ce monde nocturne aux allures figées? Son emprise m’empêche de répondre à cette question. Après avoir fait encore quelques pas, je jette un dernier regard vers le ciel, essayant de trouver la constellation d’Orion atteinte de timidité face à la lumière argentée omniprésente. Ma contemplation est d’ailleurs interrompue par le départ de notre visiteur (du mercredi, les plus anciens saisiront l’allusion), l’heure du dîner s’approche donc rapidement.

Bien observer les feux sinon...

En rentrant l’air chaud du foyer m’accueille, se chargeant d’effacer les courts instants passés au sein de cette soirée glaciale, mon odorat quant à lui tient à conserver encore quelques minutes le parfum du feu de bois consumé, distillé par le conduit de cheminée. Alors que j’enlève gants et bonnet, je me remémore les pas effectués au fil des rues de « la grosse pomme ». Pour sûr, après le dîner je ne compte pas abandonner le dernier ninja sans avoir tenté une nouvelle fois d’atteindre le prochain niveau… Un doute se présente à moi… Ai-je bien fait mes exercices de maths?