vendredi 23 juin 2023

De l'ail pour le Croquemitaine

En hommage à Andrew Keir

« Garlic for the Boogeyman… There is no Boogeyman anymore! »

Andrew Keir  dans Dracula prince des ténèbres par Terence Fisher

C’est sans hâte que je me rendais sur les lieux, une ferme familiale perdues au milieu des champs. Le chemin y était fortement boueux, les pluies prononcées de la veille n’ayant pas épargné ce versant de la contrée en particulier. Ainsi, l’air de ce premier jour annonçant la belle saison était chargé d’une brume poisseuse, semant le doute quant à la tenue à choisir pour le pèlerin. Mon estomac avait encore en tête le copieux petit déjeuner que l’aubergiste m’offrait lorsque je passais en son établissement, il n’avait jamais oublié le service que je lui avais rendu il y avait quelques années de ça. 

La veille s’était voulue agitée par la présence d’un voyageur peu commun en ces contrées sauvages, un notaire venu rendre visite au comte habitant le château au-delà du col de Borgo. Les habitants ainsi quele patron de l’auberge passèrent un long moment à tenter de dissuader cette entreprise qu’ils jugeaient folles et je ne pouvais qu’appuyer leurs conseils cependant j’abandonnais mon élan, préférant rester discret, à ma table, devant la détermination de cet homme. Par la suite, sur la route, je me demandais ce qu’il advint de lui. Et puis qui étais-je pour dire ce qu’il devait faire? Mon mentor, un moine bourru qui aimait se réchauffer le postérieur devant le poêle à bois par grand froid accompagné d’un bon verre de vin, m’avait enseigné un trait majeur qui caractérisait notre « vocation »: rester humble. Toute fanfaronnade, excès de confiance voir même condescendance menaient à coup sûr à l’échec.

Je souris à son souvenir en saisissant ma pinte de bière ce soir là, suivant les discussions animées.  Lorsque le calme fût revenu, sur le chemin de ma chambre, j’accrochais silencieusement un crucifix sculpté à la hâte par mes soins devant la cheminée des lieux, enveloppé du parfum de l’ail dispensé par les guirlandes disposées sur les poutres. J’espérais qu’il le trouverait le lendemain mais je ne fus pas là pour le voir, ayant pris la route très tôt, juste avant le lever du soleil. Bien que je pouvais solliciter le cocher pour un cheval, je préférais faire le chemin à pied. Je n’avais aucune connexion avec cet animal et aucun grief en particulier (je détestais voir un animal souffrir quel qu’il soit). Il m’arrivait parfois de faire la route avec un chien ou chat errant à qui j’avais donné un peu de nourriture. J’aimais leur compagnie et bien souvent, leur instinct me permettait de déceler un éventuel danger car ces forêts abritaient des bandits en plus des créatures de la nuit. Cependant ces derniers étaient en général des individus peu informés sur l’état des environs et ne faisaient pas longue carrière. Il y en avait de moins en moins, certains renforçaient parfois, souvent même, le rang des ombres. 

Bien que je ne m’autorisais que quelques minutes de pause, ma marche me fit arriver en tout début d’après-midi ce qui ne me laisserait que quelques heures tout au plus pour agir. La brume avait laissé place à un soleil radieux, dissipant la fraîcheur et l’humidité qui avaient régné le matin. Pour autant le cadre restait sinistre et quelques signes fort alarmant me questionnaient sur l’idée de prendre le chemin du retour. La maigreur de mes finances achevait pourtant de conforter la continuation de mon entreprise. Je restais à bonne distance afin d’observer les divers signes sinistres que la beauté du panorama ne parvenait pas à effacer. La ferme était mal entretenue, en témoignaient un enclos à cochons faisant état d’un animal mort, sans doute depuis peu, ses congénères affairés à le dévorer ne dénotèrent même pas ma présence.  De la viande, à présent avariée, avait été accrochée à l’un des piquets de clôture délimitant la propriété, sans doute pour sécher mais elle avait été oubliée. Les mauvaises herbes et la bourrache envahissaient les lieux, jusqu’aux marches d’un escalier en bois que les intempéries n’avaient pas épargné tout comme le reste de la demeure. 

Circonspect, j’approchais de la maison, tout temps perdu jouant en ma défaveur. Un vieux chien allongé que j’avais remarqué à mon arrivée leva péniblement la tête et remua quelque peu la queue. Son état général m’indiquait que l’animal était affamé lui aussi. M’accroupissant pour le caresser, je lui donnais les restes de mon repas de la veille prévus pour le chemin du retour. Il semblait avoir du mal à manger et j’attendis patiemment qu’il eût terminé en le caressant. J’ignorais encore ce que j’allais réellement trouver de l’autre côté de la porte, sentant des regards derrière par des interstices. J’espérais simplement qu’il s’agissait réellement d’un cas de vampirisme et non pas d’un exorcisme comme il m’était arrivé d’en réaliser suite à de mauvaises informations. Outre le fait d’avoir été la proie d’un démon (avec « la chance » que ce dernier n’avait pas été trop véhément) j’avais dû faire face à une enquête de la sainte inquisition composée de prêtres tous plus idiots et fanatiques les uns que les autres. J’avais été questionné sans relâche pendant toute une journée et sans doute sauvé de justesse par mon mentor peu apprécié dans le domaine cléricale mais conservant encore alors un certain respect en la matière. Je ne m’étais jamais réellement remis, tant de l’exorcisme que des questions des inquisiteurs et avais mis du temps à pouvoir reprendre mon « activité ». J’ai toujours pensé que ce genre de pratique était comparable à celle des guérisseurs ou magnétiseurs, involontairement notre être absorbe une partie du mal chassé.

Curer le vampirisme était quelque peu différent bien que l’on ne connaissait pas réellement son origine mais j’avais appris que l’esprit n’en sortait jamais réellement indemne. Les séances étaient systématiquement violentes et conduisaient souvent à la mort de la victime si les signes n’avaient pas été pris au sérieux dès le début. Ici, en l’occurrence je craignais même qu’il s’agisse d’un piège, cela c’était déjà produit et je remerciais toujours intérieurement de n’avoir pas connu cette mésaventure. Je frappais fermement à la porte. J’entendis quelques murmures, ceux d’un homme et d’une femme puis bientôt des pas lourds vinrent jusqu’à la porte. Une voix masculine, emplie de méfiance et d’une certaine agressivité me demanda de décliner mon identité:

- Qui c’est? Si vous êtes pas là pour notre « problème » vous avez intérêt à déguerpir!

Malgré la menace derrière ces propos j’étais quelque peu soulagé, je n’étais, semble-t-il pas, tomber dans un piège. Mes mains lâchèrent la forte étreinte appliquée à la sangle de ma besace de tissu marron. Ayant entamé ma démarche de confiance je pris la parole: 

- Je suis le guérisseur ». J’aimais à me présenter ainsi, c’était toujours mieux que « je suis venu m’occuper de votre cas de vampirisme avec, sans doute, la mort à la clef ».

Un silence de plusieurs secondes s’installa. Finalement, j’entendis qu’on enlevait une planche, le bruit d’une clenche, puis la porte s’entrebâilla. Par la mince ouverture je pus sentir le parfum suffocant de l’ail, sans doute disposé en excès, mélangé à la pernicieuse odeur de pourriture discrète mais bien présente. Un homme imposant aux traits tirés, visage mangé par une barbe fournie, que l’angoisse avait rongé jusqu’aux os se présenta de moitié et m’examina de la tête au pied. Finalement il me laissa entrer et referma vivement derrière moi. Je remarquais le tremblement dans ses mains calleuses témoins d’un travail intensif.

La pièce était sombre, sale, désordonnée, respirant l’abandon. Dans un coin, assise sur un tabouret masqué par une ample robe noire rapiécée à plusieurs reprise, une femme sanglotait dans un mouchoir le visage partiellement masquée par un voile. J’en déduisais qu’il s’agissait de l’épouse de l’imposant colosse venant à l’instant de m’ouvrir les lieux. Ce dernier ne tarda d’ailleurs pas à me désigner une pièce située à ma gauche. 

L’air était étouffant, pour ne pas dire quasi irrespirable mais je ne crus pas bon sur l’instant d’imposer des directives. Plusieurs choses se bousculaient en ma tête alors que les minces ouvertures dont la maison était dotée faisait déjà état des prémices du crépuscule. J’étais sans doute bon pour rester ici, coincé par la nuit… et je n’en avais pas du tout envie. Saluant d’un geste de la tête la pauvre femme accablée par le chagrin, sachant qu’elle ne me voyait sans doute pas, je me dirigeais vers la chambre. Tout ce que je savais c’est qu’il s’agissait d’un cas de vampirisme sur une jeune femme, la fille du couple, tout du moins c’est ce qu’était stipulé dans la lettre que j’avais reçu. Je m’en remémorais l’écriture fine et déduisais qu’elle n’avait pas été écrite par les deux personnes ici présentes, leurs mains martyrisées par l’ouvrage et les saisons  n’étaient pas destinées à ce genre d’exercice. Elles ne savaient peut-être ni même lire et écrire. Mais ceci n’était que pure supposition, bien des surprises, bonnes comme mauvaises, m’avaient déjà appris à rester humble quant à des déductions trop hâtives. 

Outre la pesante atmosphère, une odeur de mort vint supplanter le parfum suffocant de l’ail. Avant d’entrer dans la pièce, je fis signe à l’homme de patienter ici. Mon intuition m’indiqua qu’il ne s’agissait pas d’un cas de revenant et la mouche s’envolant paresseusement m’apporta la réponse. Je sortis alors un mouchoir à la propreté sommaire de ma besace et m’en couvrais la bouche, il s’agissait peut-être d’une maladie et bien qu’il fût sans doute déjà trop tard je préférais prendre un minimum de précaution.  

Elle était là, allongée sur un matelas de paille, les mains croisées sur la poitrine, ses traits fins figés dans un cri. Ici il y avait eu de la souffrance, ici des nuits sans sommeils s’étaient déroulées déchirant une obscurité humaine sourde aux maux de la jeune femme. Sa peau était blême, ses longs cheveux de jais semblaient s’écouler de l’oreiller sur lequel sa tête reposait. En ma présence, il n’y avait ni goule, ni potentielle prétendante à une créature de la nuit, juste une jeune femme décédée de mort apparemment naturelle. Je n’étais pas médecin et je ne pouvais dire les causes de son décès mais l’absence de bubons ou autre artefacts suspicieux me rassurèrent un peu. J’entreprenais néanmoins de vérifier par un simple regard l’absence d’éventuelles morsures dérobées. Alors que je me penchais au-dessus de la jeune femme, une grosse mouche sortit de sa bouche. Je décidais alors d’en terminer, me hâtant de sortir de la pièce. Bien que vicié lui aussi, l’air me semblait déjà plus clément de l’autre côté.

A ma sortie précipitée, je fis face à l’homme à l’air interdit et à la femme qui avait cessé de pleurer pour lever la tête vers moi. Il me fallait leur annoncer que je ne pouvais rien, que leur fille étaient morte de maladie.

- Alors? Vous l’avez exorcisée?» Me demanda le colosse

De mon timbre le plus calme et en apparence serein, je lui répondais:

- Votre fille est morte de maladie, sa nature m’est inconnue. Il ne s’agit pas de vampirisme. 

Le soulagement, celui éventuellement ressenti en apprenant que le mal n’avait pas désigné vos murs, n’était pas de mise ici. Par le biais d’une précédente (et mauvaise) expérience je voyais quelle tournure allaient prendre les évènements.

- Vous mentez, de toute façon tout votre ordre c’est que des menteurs et des bons à rien! Je l’ai dit à ma femme, c’est elle qui a voulu faire appel à vous!  Demain j’irai voir le prêtre du village et il fera ce qu’il faut! Et puis j’vous paierai pas!

J’aurais aimé lui répondre qu’au moins sa fille serait enterrée dans des conditions décentes mais je n’en fis rien, préférant ne pas envenimer la situation plus qu’elle ne l’était.Je fermais les yeux n’émis donc aucune réponse, sachant pertinemment que cela ne servait à rien. La nuit se préparait au-dehors et avec un peu de chance je pourrais tout juste atteindre de nouveau le village. Dans un geste brutal j’arrachais une tresse d’ail d’une des poutres et la fourrais dans ma besace. Ça n’avait aucun effet sur les vampires mais parfumaient convenablement les plats et puis c’était bon pour le cœur. Toujours sans mot dire je me dirigeais vers la porte, sortit, heureux de respirer l’air frais, puis repris ma route. Le vieux chien jappa je n’eus cependant pas le loisir de le caresser de nouveau, invectivé par le propriétaire des lieux. 

Derrière la demeure, le soleil entamait déjà son déclin mais le temps n’était pas à la contemplation, l’humeur se voulait hâtive. Au pire si le choix venait à manquer, je dormirais en haut d’un arbre croisant peut-être la route d’un ours qui ferait un bon gardien, ce dernier attendrait ma chute pour me croquer mais dans l’attente ferait fuir les éventuelles goules. Et puis je pourrais toujours lui lancer les quelques restes de mon repas afin de le garder dans les parages même si le lendemain matin il me faudrait trouver une parade pour lui échapper. Je préférais cela plutôt que rester en ces lieux un instant de plus. Je n’éprouvais cependant aucune colère mais l’amertume envers mon prochain, elle, se chargerait d’empoisonner mes échanges futurs.

C’est en tout début de nuit que j’atteignis le village, souriant presque à la vue des lueurs artificielles produites par les lanternes. La douceur des promesses printanières avait fait place à un froid vif et c’est avec une pensée pour mon mentor que je me réchauffais le postérieur devant le poêle de l’auberge. Ceci fait je me dirigeais vers le comptoir où le grassouillet tenancier au visage rougeaud était occupé à servir les vieux habitués en boisson. Déposant fièrement ma tresse d’ail devant lui, je lui demandais si il avait encore par hasard un peu de ce délicieux ragoût  que sa femme m’avait servi hier. Il rit en regardant mon offrande et, de son regard trahi par le cholestérol, m’indiqua le plafond où nombre de belles gousses d’ails pendaient. « De l’ail pour le croquemitaine… » dis-je plus pour moi que pour lui. En voyant mon air défait, le tenancier émit un rire franc et me tapota la main: « Allez, vous inquiétez pas , pour ce soir c’est offert par la maison ». Les vieillards autour de moi accompagnèrent son rire. Cet instant fut sans doute le meilleur de la journée. 

Je m’installais à une table voisine et l’épouse du tenancier, aussi costaude que lui, vint m’apporter mon assiette accompagnée d’une enveloppe: « Il y a du courrier pour vous monsieur » me dit-elle d’un air mélangeant crainte et suspicion. Une fois mon repas englouti, je m’installais de nouveau près du poêle afin d’y lire la lettre dont l’enveloppe était scellée par un emblème qui me déstabilisa

Cher Monsieur,

Ne connaissant pas la location exacte de votre ordre pouilleux et ayant suivi quelque peu votre parcours j’espère que cette lettre vous parviendra. N’ayez crainte, il ne s’agît ici que de remerciements et d’une restitution. Tout d’abord, ceux de Jonathan Harker qui a le plaisir de séjourner en notre beau pays avec moi quelques temps afin de préparer mon voyage et dans un second temps de vous restituer cet…. Artefact barbare…. Dont Monsieur Harker n’aura nul besoin.

Bien à vous,

D

De l’enveloppe j’extirpais le petit crucifix en bois que j’avais confectionné pour cet assistant notaire croisé la veille… et d’une voix un peu tremblante, demandais à l’aubergiste si la maison offrait aussi en ce soir sa plus forte liqueur.

 

mercredi 21 juin 2023

Uchi Mat..aie!

1988. C’est l’un de ces soirs d’hiver où la neige se mêle à la pluie. Nous sommes deux, tout du moins pour le moment, d’ici quelques instants le camarade de classe qui pratique le judo avec moi verra ses parents le délivrer de ce bar du village où se trouve notre collège. La séance d’entraînement à laquelle nous devions participer a été annulée sans que personne ne soit prévenu, quelques temps plus tard nous apprendrons que le professeur était atteint d’une « démotivation impromptue » et que cette dernière l’a empêché d’utiliser son téléphone pour prévenir ses élèves. 

La plupart des autres membres du club ont déjà pu repartir entre temps mais pas nous, ainsi les intempéries prononcées nous forcent à trouver refuge dans ce bar. Si mon camarade de classe (qui n’en est pas vraiment un à vrai dire) s’est déjà changé moi je suis directement venu en kimono et… oublié mes affaires de rechange dans la voiture de ma mère déjà repartie. De ce fait notre entrée est remarquée, notamment par les trois piliers de comptoir déjà éméchés par quelques verres. La vieille dame qui tient le troquet semble un peu débordée mais pourtant il va nous falloir demander l’accès au téléphone afin de demander à nos parents de revenir nous chercher plus tôt. 

L’appareil est situé un peu en retrait mais pas assez pour être isolé des beuglements des trois ivrognes qui échangent des bribes de phrases. Le copain, sympa, me prête une pièce afin que je puisse téléphoner à ma mère, de ce fait je le laisse d’abord passer son coup de fil.  D’ici quelques instants ses parents viendront le chercher. A mon tour d’essayer, j’ai moins de chance que lui, le téléphone me renvoie une tonalité occupée. Mon pote de fortune n’a plus de pièces sur lui, me voilà donc condamné à attendre de longs instants. Au-dehors, le mélange pluie/neige semble vouloir s’apaiser et ça tombe bien puisque bientôt l’un des hommes avinés a pour entreprise de « brûler ma soutane » selon ses dires, enfin si il parvient à trouver son briquet. 

Rassure nous, tu vas parler un peu d'Amstrad quand même non?

Pour une fois je suis ravi de sortir pour retrouver l’air glacial. Quelques minutes plus tard, un bref au revoir et le camarade s’engouffre dans la voiture de son père, mon regard verra les feux arrières rougeâtres s’éloigner au cœur de cette soirée troublée. Me voilà donc seul, dans le froid, à attendre que les minutes s’égrainent… Si lentement! Je qu’une envie retrouver ma chambre et mon Amstrad Cpc 464. Mais le mauvais sort n’en a pas terminé avec moi puisque bientôt mes pensées sont interrompues par une voix que je ne connais que trop bien: Celle d’un élève du collège, d’une classe supérieure et qui me raille souvent. D’ailleurs sa première phrase sera ici « Tu fais du judo toi!!!! ».  Lui pratique le karaté et ne se prive pas pour s’en vanter, « au karaté on fait ça, je maîtrise d’ailleurs cette prise… » et blabla blabla… Il est clair que l’humilité ne fait pas partie de son enseignement.

Attends il n'a pas fini son histoire!

Je préfère ne pas répondre et surtout ne pas montrer que mon kimono, recouvert de mon manteau, n’est pas suffisant pour me protéger du froid, surtout aux jambes. En dessous de la mince couche de tissu je grelotte. Hors de question de lui montrer. Il est bientôt rejoint par deux de ces copains. S’ensuivront tout un flot de railleries diverses et variées à mon encontre ainsi qu’une boule de neige contenant une pierre que je recevrais dans les jambes. Les minutes deviennent des heures, finalement ma mère arrivera, passant obligatoirement devant l’établissement pour atteindre le dojo (qui s’avère en fait la salle des fêtes).  Les caïds seront déjà entré dans le bar entre temps. 

En cet instant je suis trop heureux de retrouver l’habitacle de la vieille Corolla et surtout son chauffage! Sur le chemin du retour, j’expliquerais ma présence devant le bar mais tairais les faits autour. D’un commun accord, le judo s’arrêtera ici pour ma part… 

Les dernières lueurs du village s’estompent, les ombres s’emparent de la voiture qui conjure l’obscurité avec ses phares dans lesquels brilleront parfois des regards appartenant à la nuit. Quelques instants plus tard je retrouve le confort de ma chambre avec ma fidèle lampe de bureau qui éclaire une toute nouvelle compilation: « Karate Ace » de l’éditeur Gremlin. Ironiquement, mon regard rencontrera « Uchi Mata » titre d’une simulation de judo reprenant le nom d’une prise « classique ». Cette soirée semble décidément placée sous le signe de l’ironie puisque j’ai subi cette prise lors d’un entraînement avec un membre féminin du dojo. Accidentellement, la jeune femme manque sa prise, la transformant en coup de pied dans une partie délicate de mon anatomie, me laissant plié en deux sur le tatamis. 

C'était à peu près ma position après la prise...

Allez, puisqu’il en est ainsi, je vais donc jouer à « Uchi Mata »! Pas très longtemps à vrai dire, le jeu n’est pas très beau, je ne parviens pas à l’appréhender et donne même un coup de poing à mon adversaire par une quelconque subtilité du joystick! Je reviendrais très peu vers ce jeu par la suite. Souhaitant oublier cette soirée, malgré la répétition en mon esprit des termes peu flatteurs dont j’ai été l’objet quelques instants auparavant la chaude lumière de ma lampe de bureau me verra jouer à un autre soft dans l’attente d’un autre affrontement, celui où je devrais expliquer à mon père pourquoi j’ai choisi d’arrêter le judo.

mercredi 7 juin 2023

La dame d'albâtre

 Les quelques lignes qui vont suivre n'ont pas d'attache avec le jeu vidéo (à moins peut-être avec Castlevania). Il y a quelques temps, j'ai participé à une après-midi lecture/poésie où il était demandé d'écrire un texte en y incluant quelques mots imposés exprimant une certaine notion du temps. Je vous livre ici les lignes sorties de mon imagination, un humble hommage à Anne Rice.

La dame d'albâtre

The Vampire, tableau de Sir Philip Burne-Jones

Lorsque le chien devenu loup s’émerveille devant les beautés nocturnes

Le souvenir de la dame d’albâtre vient alors étreindre mes rêves taciturnes 

Son parfum sibyllin prends le pas sur son baiser sanguin

Tandis que sa voix me murmure ses souvenirs égéen


Sa mélopée conte son long sommeil sur des navires en hivernage

Après bien des errances  affamées de Corinthe à Carthage 

Elle me dit avoir soutenu le regard de Méduse la Gorgone

Ses longs cheveux de jais ont épousé les ombres de Perséphone

 

Puis, lorsque la voûte nocturne se voit délaissée

Par une lune enceinte d’un soleil déjà épuisé

Son élan se fait véhément en montrant les étoiles d’un geste fier

Sa demeure originelle perdue, située à des années-lumières.

 

Mais l’avant-jour dilue à la hâte nos conversations éthérées

Le tic-tac disgracieux des pendules nous rappelle à la réalité avérée

Il est temps pour elle de retrouver la mélancolie de son tombeau

Avant qu’Hélios ne se décide à embraser pour de bon ses flambeaux

 

Encore une parole me dit-elle avant de se précipiter:

 

Lorsque vous viendrez planter un pieu en mon cœur

Que mon immortalité sera parée des atours de la laideur

Laissez moi, mon ami, dans une dernière faveur

Apposer une main sur votre visage marqué par la langueur

 

Serez-vous capable de soutenir ainsi mes traits parcheminés?

En cet instant votre conviction ne devra pas lambiner

A moins que vous ne décidiez de me laisser reposer en ce linceul

Car sans ma belle compagnie votre être se sentirait bien seul…

 

Et après? Que feriez-vous? battriez-vous la campagne?

Espérant que Sélène courroucée vous accompagne?

Hanté par le remord, longeant les rivières

À chasser le gâloup aux abords des chaumières

 

Ne souhaiteriez-vous pas rythmer vos mots avec le crépuscule,

Ecouter les enfants de la nuit sans que rien ne vous bouscule?

Et permettez moi d’employer ce terme barbare

Hâtez-vous âme diurne de vous décider dare-dare

 

Car ce choix que je n’ai jamais eu, ne peut être ici défait

Il vous faudra conjuguer vos souvenirs au plus-que-parfait 

Sur ces derniers mots en un geste gracieux, synchrone avec le jour

Dans un air de déjà-vu son aura semble s’estomper pour toujours

 

Désormais, mon imagination anémiée éprouve de la jalousie

En écoutant les enfants de la nuit chanter pour Bela Lugosi

Et lorsque l’obscurité s’en vient chasser la morne clarté

Que l’ombre massive du gâloup s’étend sur la ruralité

Si à l’horizon l’astre cendré se farde d’une teinte roussâtre

S’esquisse en mes pensées la silhouette de la Dame d’albâtre