lundi 26 décembre 2022

Am(a)charge

 1989. Dans le silence d'une soirée automnale aux accents d'hiver prononcés, mon Amstrad cpc 6128 se retrouve dans une pièce qu'il n'a pas l'habitude de fréquenter. Là, posé sur le bureau paternel comme un artefact sur un autel sacré, ma machine communique avec un autre terminal: le minitel. La baie vitrée se charge elle de renvoyer les dernières lueurs d'une aube qui tire sa révérence derrière une haie constituée d'arbres bien plus vieux que moi. Mon regard quant à lui se rive quelques instants sur la barre de progression du... "téléchargement"? Je dois avouer qu'utiliser ce mot en écrivant ces lignes me semble quelque peu bizarre, pourtant c'est bien de cela dont il s'agit. 

En ce samedi j'ai réussi un véritable tour de force en convaincant mon père de me laisser essayer le service "Amcharge" vanté au détour d'une publicité présente dans un numéro de Amstrad Cent Pour Cent. Le soft nécessaire était déjà présent sur l'un des jeux de ma "cpcthèque" (impossible de me rappeler lequel par contre) quant au kit à coup sûr nous l'avions commandé via Micromania. Une fois reçu sa mise en œuvre était réellement très simple: relier le minitel au cpc via le câble, lancer le soft puis saisir 3615  Amstrad sur l'appareil. A partir de là deux options majeures se présentaient: soit jouer à un soft en location ce qui incluait qu'une fois le cpc éteint, impossible d'y rejouer à moins de le rétélécharger, soit en faire l'acquisition ce qui sous entendait le sauvegarder sur un support vierge. Pour ma part c'est bien entendu la seconde qui fut choisie et mon dévolu s'était porté sur le jeu "The Dambusters"édité par U.S Gold en 1986, une simulation de bombardier pour laquelle Amstrad Cent Pour Cent conseillait vivement le téléchargement de la notice.

La mort au bout du fil...

Je dois avouer qu'écrire ces lignes relève ici du tâtonnement, ce souvenir se dessinant de manière fuyante désormais. Pourtant je me souviens encore du bureau bon marché de mon père sur lequel était posé l'objet du délit, le minitel qui jusqu'ici n'avait eu aucun intérêt à mes yeux, le parfum du carton des chemises et classeurs dans lesquels étaient renfermés tout un tas de papiers liés à l'administration française ou encore des écritures comptables qui relevaient pour moi d'une langue mystérieuse et surtout incompréhensible en l'état. Il y avait aussi les pots à crayons où se glissaient mille éclats de trombones égarés, morceaux de gommes fatigués d'avoir corrigé maintes erreurs. Mais revenons au flux de données qui parcourent alors les réseaux cuivrés de France Télécoms à la vitesse d'un escargot digérant une choucroute au Riesling. 

A ma grande satisfaction, le chargement semble arriver à son terme bien qu'aucun incident n'est cependant à exclure. En cas d'échec, il me faudra relancer le chargement depuis le début ce que j'aurais fait sans l'ombre d'une crainte,  porté par l'impulsion d'une certaine naïveté. Là encore impossible de me remémorer la suite des opérations, concernant la sauvegarde sur disquette, la notice. Ce qui me revient assez aisément par contre c'était l'exigence de "The Dambusters" peut-être encore plus que "Night Raider" de Gremlin dont je vous parlais ici. Une fois mon forfait accompli, le clavier du minitel se voit replié sur lui-même laissant place à un samedi soir placé sous un signe aérien. 

Une ombre autre que celle de l'avion plane sur moi...

Quelques temps plus tard, tel un oiseau de mauvais augure, la facture téléphonique est déposée à la hâte par notre facteur dans notre boîte aux lettres souffrant des intempéries qui ne l'épargnent pas. A l'ouverture du pli je suis de passage dans la cuisine, en quête d'un peu d'eau fraîche... Bref un verre d'eau quoi. Du coin de l’œil je vois le visage de mon paternel quelque peu pâlir à la lecture du relevé, mon intuition me renvoit immédiatement les écrans du service "Amcharge". Sans un mot, mon père se lève pour se diriger vers sa chambre et, je m'en doute plus qu'un peu, vers son bureau... La demeure restera muette quant à la disparition du minitel, remplacé à la hâte par des effets professionnels. Mon intuition, bonne conseillère, m'incitera à ne pas poser de questions, me soufflera de ranger au fond d'un tiroir voir même d'enterrer le kit "Amcharge" et pourquoi pas prendre un passeport afin de m'extrader vers le Mexique. Les heures suivantes se voudront sans éclats, silencieuses mais aussi imposantes qu'un nuage enceinte d'une tempête. Mon intuition me parle un peu plus fort cette fois pour me conseiller également de bannir le nom "Amstrad" ainsi que le mot "jeu" de mon vocabulaire pendant quelques temps, ah et puis peut-être appeler Perry Mason histoire d'avoir un bon avocat... Allez, cet incident passera avec la marée et comme crierait Ripley au caporal Hicks dans "Aliens" de James Cameron: "On your feet soldier!".

Cet appareil s’ auto-rangera dans...

Je n'ai jamais connu le montant de la fameuse facture tout comme je n'ai jamais plus réutilisé le minitel ainsi que le service Amcharge par la suite.

mardi 20 décembre 2022

Que le sol "Scramble"

1989. C'est encore l'un de ces samedi soir qui me font particulièrement apprécier le weekend. La fin de l'hiver s'annonce, en témoignent les rouges-gorges, moineaux et merles dont la présence se veut parsemée en journée avant que la nuit ne vienne réclamer son dû lié à l'heure d'hiver. Là, sous le lustre à la lumière jaunâtre de la salle à manger, l'écran de mon Amstrad cpc 6128 égaye mon regard de par les graphismes du jeu qui sera chargé d'ici quelques secondes. A seulement un mur d'écart, sur l'imposante télévision cathodique du salon, les parents suivent un procès mené haut-la-main par le célèbre Perry Mason incarné par Raymond Burr qui semble être toujours un "homme de fer" délaissant au passage son fauteuil roulant. 

je dois vous avouer quelque chose alors que l'imitation d'une horloge Comtoise égrène les minutes de cette soirée qui, comme toutes les autres, passera trop vite: J'appréciais particulièrement la combinaison du film/série en cours avec l'ambiance du jeu auquel j'étais en train de m'adonner. Non, rien de bien croustillant concernant ces précédents mots, certainement moins affriolants qu'une partie de carte au travers d'un soft faisant état d'une silhouette féminine se dénudant au fur et à mesure que sa chance tourne.


Alors que le célèbre avocat s'apprête à mettre en joug l'accusé par son manque de cohérence concernant son alibi, le jeu en question est enfin prêt, il s'agit de "Super Scramble Simulator" via la compilation "12 jeux fantastiques" de Gremlin Software qui a fait mon bonheur à maintes reprises. Comme je l'ai déjà dit, cet éditeur m'a toujours donné le sourire. Et ici quelle ne fut pas ma surprise d'apprécier réellement cette simulation de sport mécanique qui, au guidon d'une motocross, me fera traverser des terrains accidentés, rouler au pas dans une cuve d'huile (tout du moins une sorte de liquide boueux, j'avoue ne pas trop savoir), rouler sur des voitures, me baisser au bon moment pour éviter divers obstacles, le tout sur quinze circuits! 

Autant l'avouer tout de suite, je ne suis jamais parvenu à passer la hard section mais quel pied! Quel stress de voir le temps imparti arriver aux toutes dernières minutes alors qu'il me reste encore quelques mètres à parcourir! Mais rien ne sert de foncer comme un idiot, il faut adapter sa vitesse et couple moteur (dit le mec qui n'a jamais regardé une émission d'Automoto le dimanche matin sur TF1). Ce que j'appréciais également c'était aussi le simple message annonçant que vous aviez calé ou rouliez trop vite avec pénalité à la clef. J'ai toujours trouvé ce choix pertinent, cela évitait ici une animation de "trop" et permettait de repartir rapidement.Et puis la musique de Ben Daglish terminait de m'enthousiasmer alors qu'entre deux épreuves mon regard était attiré par l'horrible coupe de fruits style très années soixante-dix, héritage générationnel des parents, posée sur la toile cirée passée. 

Mais alors que Perry Mason venait de résoudre une énième affaire et que Paul, son acolyte de toujours, venait in extremis de lui sauver la mise en lui apportant la preuve irréfutable, je devais me rendre à l'évidence: ma conduite pour arriver au bout des quinze circuits de "Super Scramble Simulator" devait s'améliorer!

vendredi 16 décembre 2022

Un taxi pour Ere Informatique

 1987. L'Amstrad CPC 464 a donc élu domicile chez nous depuis quelques mois à présent et le moins que je puisse dire c'est qu'il n'a guère le temps de se reposer notamment le weekend. Les ardeurs de l'été ont laissé place à la mélancolie prononcée de l'automne, parfumé par le papier et plastique des fournitures scolaires. D'ailleurs en ce jour précis me revoici au cœur du magasin Majuscule où mon père bénéficie d'une ristourne. Sa bonne humeur est au rendez-vous et me propose de glisser, parmi les stylos bille et autres cahiers destinés à combler quelques oublis, un nouveau soft pour ma machine. Inutile de vous dire qu'en quelques secondes me voici doté du don de téléportation, me permettant d'arriver très rapidement au rayon des micro ordinateurs. 

Cependant mon empressement se voit quelque peu réfréné par le peu de jeux au format cassette proposé par l'enseigne. Un attire tout de même mon attention, il s'agit de "Tobrouk 1942" programmé par Alan Steel pour Ere Informatique en 1986. Je revois encore très nettement cette impression qualitative qui se dégageait alors de son emballage: le fourreau carton protégeant un support polystyrène accueillant lui même une cassette blanche avec sa notice. Sur ce dernier, l'illustration d'un char en pleine action et les captures d'écran au dos terminent de me convaincre,  le jeu accompagne bientôt les achats.

Arrête ton char Charles!

Sur le chemin du retour, mon choix a été remarqué par mon père qui me conte alors les faits d'armes de mon grand-père ayant combattu pendant la seconde guerre mondiale. Bien que je respecte le parcours de ce dernier, ayant déjà entendu ces  évènements, mon esprit vagabonde déjà vers le soft entre mes mains, je me demande à quoi va ressembler l'affrontement entre les forces britanniques et celles de l'axe concernant le port historique de Tobrouk. Au dehors le paysage bourbonnais défile, totalement indifférent à ce potentiel étalage de conflits menés par l'homme au fil du temps. 

Cahiers et stylos sont posés à la hâte sur mon bureau, frôlant accidentellement l'un des ressort de ma lampe de bureau articulée bleue qui résonne en l'air de ce mercredi après-midi. Bien que le soleil réchauffe quelque peu les champs alentours, je n'ai certainement pas le temps de jeter un œil par la fenêtre, tout du moins pas tant que la cassette estampillée Ere Informatique ne soit en train de dérouler sa bande dans le lecteur du cpc 464. Après ça, il me faut compulser le manuel d'utilisation et il y a de quoi faire! Une chose est sûre, Tobrouk n'est pas un soft que l'on joue à la va vite, il s'appréhende. 

Au détour d'une page, une section m'interpelle: la possibilité de connecter deux machines entre elle pour s'adonner au conflit à deux joueurs. J'imagine alors le confort et la seconde découverte qu'offre cette possibilité: un écran chacun et une manière de jouer plus stimulante. Mais je sais déjà que cette possibilité ne me sera pas offerte, n'ayant personne pour jouer. D'ailleurs plus tard, lorsque je parlerais du soft à quelques copains de classe aucun d'entre eux ne s'y intéressera. Mais si vous étiez dans le cas où cela était possible, la notice vous expliquait sommairement comment réaliser le câble nécessaire à la connexion des deux machines en sacrifiant au passage deux joysticks! Il était aussi possible de commander un kit de fabrication auprès de l'éditeur moyennant la somme de 99 frs soit le prix d'un jeu au format cassette. Pour ma part je n'ai jamais croisé un autre soft proposant cette option.


 La fin de chargement de la cassette me sort de mon "étude".  A l'époque j'avais déjà été impressionné par le soin apporté à la documentation, essentielle pour profiter de ce jeu stratégique... Mais un bon manuel d'utilisation ne fait malheureusement pas un bon stratège! A treize ans, je me perds un peu dans la progression de mes unités sur la carte, le ravitaillement, support aérien ce qui ne m'empêche pas de donner tout ce que je peux afin de gagner la bataille. La partie se pimente un peu lorsque vient l'affrontement en mode arcade qu'il est possible de désactiver dès le menu principal et le choix reste encore possible en appuyant soit sur le bouton feu du joystick (avec) ou espace (sans). Là encore, une fois au commande de l'engin blindé, j'étais assez impressionné, notamment dans les phases de tir, attention à l'ajustement. 

Lui ne vous manquera pas...

 A la fin de ma partie, le constat est sans appel: je suis particulièrement mauvais mais j'ai réellement été emballé même si les jeux de ce genre ne sont pas forcément mon apanage. Par la suite je reviendrais de temps en temps vers Tobrouk, réussissant au final à prendre la ville.

mercredi 7 décembre 2022

Alice around the clock

1987. Je suis en pleine contemplation d’une moquette, celle de l’enseigne Majuscule où mes parents et moi avons atterri en ce milieu de matinée. Non, en cet instant je ne me suis pas découvert une vocation d’artisan décorateur mais celle d’une personne contrariée qui fait profil bas. Mes notes au collège ne sont pas astronomiques, elles ont même tendance à côtoyer le centre de la Terre (sans Jules Verne), mon père est un peu (voir beaucoup) au bord du désespoir alors ce passage en l’enseigne où mon CPC 464 fut acheté se fera sans l’ombre d’un espoir concernant l’acquisition d’un nouveau soft. 

Un peu comme à son habitude ma mère est restée dehors fumer sa cigarette tout droit sortie d’un paquet  rouge et blanc estampillé « Royal », elle n’aime guère s’enticher des conflits entre le paternel et moi. Silencieux, je suis mon père qui ajoute à la volée quelques stylos bics ainsi que l’un de ces cahiers de compte évoquant, via sa couleur et typographie, une austérité blessant mon imagination. Nous sommes sur le point d’atteindre la caisse du petit magasin, volant au passage un sourire de l’une des vendeuses qui nous a reconnu. Les contours de son visage me sont désormais flous je l’avoue mais je me souviens d'elle car son cou était toujours paré d'une sorte de stylo badge. Mon père s’arrête net juste avant de déposer les articles sur le comptoir et dans un souffle me demande de venir avec lui, nos pas nous menant tout droit vers le rayon dédié aux softs pour micro ordinateur. L’idée qu’il cherche un peu à me tourmenter s’éloigne lorsqu’il interpelle la vendeuse croisée quelques instants plus tôt.

Une certaine vision de l'Amstrad CPC...

A mon grand dam, le mot « jeu » est remplacé par « logiciel éducatif », ce qui génère en moi une multitude d’images et souvenirs déplaisants des journées barbantes (comme dit ma fille désormais) se déroulant dans les murs du collège. Il semble que mon paternel souhaite exploiter au mieux l’une des matières dans laquelle je montre un semblant d’intérêt: la langue anglaise. De retour vers la caisse, mes mains tiennent désormais un soft dont le boîtier équivaut à celui d’une cassette vidéo: Balade au pays de Big Ben édité par Coktel Vision en 1985. Toujours silencieux, je respire tout de même un peu, j’aurais très bien pu me retrouver avec un logiciel dédié aux maths!  Si mon intuition est bonne, ce mercredi après-midi sera loin d’être une partie de plaisir.

Sur la route du retour, l’autoradio crache quelques informations austères, avant que mon père ne sorte l’une de ses cassettes audio utilisée dans le cadre de son emploi, se déroulant à quelques occasions dans des foires expo (entre le saucisson local et le marchand de télévisions). Sur cette dernière, des chanteurs anonymes reprennent à tour de bras des hits de différents horizons dont l’intouchable « Ghostbusters » de Ray Parker Jr. Tout du moins, jusqu’à présent,  c’est ce que je croyais. Les droits d’auteur passeront encore de bien mauvais jours. 

Alice is under a tree and elle a bien de la chance!

Une fois rentré, des informations supplémentaires du journal télévisé d’Antenne 2 et un repas plus tard, mon paternel m’empresse d’essayer le soft. En cet instant, ma partie obscure de sale gosse souhaite qu’un read error b vienne s’immiscer lors du chargement mais ma prière reste sourde, bientôt le son du transfert de données cède sa place à Alice qui semble s’être évadée du roman de Lewis Caroll pour venir tester mes connaissances en anglais. Pour sûr, demain, j’aurais de quoi me mettre en avant auprès de la prof d’anglais! Peu à peu, sous l’œil parental soulagé , ma crainte d’un sale quart d’heure se mue en intérêt. Bien que la partie d’échec écrite par Lewis Caroll ne soit pas mon genre de littérature, je bafoue les droits de l’ennui pour me surprendre à m’amuser finalement, en répondant aux questions après avoir écouté la partie audio accompagnant le soft. 

I just want to play to Gryzor please!

Satisfait par ce qu’il vient de voir, mon paternel quitte ma chambre, me laissant de nouveau replonger dans l'univers que j'affectionne, celui du jeu sur Amstrad. Par la suite, « Balade au pays de Big Ben » restera le seul logiciel éducatif  ayant approché mon CPC 464.