dimanche 10 décembre 2023

Combat School 92/10

 Octobre 1992 - 6h00 du matin. La lumière crue diffusée par des néons à la propreté douteuse inonde mon visage. Une voix jeune mais autoritaire prononce un mot que j'entendrais souvent lors des dix prochains mois: REVEIL! La réalité s'empare de mois, accompagnée par un profond dégoût: la tranquillité de ma chambre d'ado  vient de s'évanouir en une obligation administrative, l'Amstrad cpc n'est presque plus qu'un souvenir fugace. 

La journée précédente, m'ayant semblé la plus épuisante de ma vie, m'a vu remplir des documents, accuser réception de divers vêtements allant de l'uniforme de cérémonie au survêtement bleu,  me faire raser la tête, prendre connaissance des divers grades lors d'une réunion avec un maréchal des logis qui semble n'avoir qu'une phrase en bouche: "On va les mater!". Tout cela ne me semble pas très rassurant et j'étais encore loin du compte. Bientôt nous rencontrons les gradés en charge de notre peloton: un adjudant chef ayant fait la guerre du Liban, le maréchal des logis chef a quant lui pris part à celle du Golf. Aucune indulgence ne semble au programme donc. 

Sur le chemin du réfectoire situé à quelques mètres de nos quartiers, les esprits s'échauffent déjà entre certains militaires du rang. Nous venons tous d'horizons territoriaux et sociaux différents, des Territoires d'outre-mer en passant par Marseille, certains viennent de la capitale, d'autres de Lyon. Les heurts sont de courtes durées, contenus par les sous-officiers. Je sens d'ores et déjà les personnes à éviter, les brutes comme les manipulateurs repérés à la descente du train de nuit dont la destination était ce régiment de Hussards (absents du toit) situé au cœur d'une petite ville Alsacienne. Un léger sourire se dessine cependant sur mon visage à peine sorti de l'adolescence: finalement je vais faire le parcours du combattant de Combat School en conditions réelles!

C'est pour bientôt…

Les jours passent, "agrémentés" des servitudes, des courses à pieds, de divers exercices et bientôt l'heure des classes sonnent. Avec des températures négatives, nous camperons sous des toiles de tentes deux places,  nous nous camouflerons comme Arnold Schwarzenegger dans "Predator", apprendrons à tirer au fusil d'assaut, lancer des grenades, manier un lance-roquette, creuser des latrines de fortunes, nettoyer son arme près du feu qui ne m'a jamais semblé aussi réconfortant. Mes résultats sont semblables à ceux du collège: mauvais. Certains dans le peloton ne se priveront pas pour me menacer, n'ayant pas envie de subir des corvées punitives supplémentaires. L'image du soldat Lawrence dans le film de Stanley Kubrick "Full Metal Jacket", incarné par Vincent D'Onofrio, s'esquisse en mon esprit. 

Finalement la nuit fatidique arrive, une mise en situation, celle qui m'empêchera d'effectuer le parcours du combattant. Cette dernière sera blanche et nous verra marcher dans l'obscurité, portant à notre tour, à deux, une lourde caisse de munitions emplie de cailloux, en plus de notre paquetage et fusil. Aux alentours des jeeps P4 tournent, à leur bord des appelés d'un autre escadron simulant les forces ennemis. Le but de la manœuvre est simple: nous ne devons en aucun cas être capturés.  La marche débute, d'abord au crépuscule puis bientôt à la lumière des étoiles d'un ciel alsacien glacial. Il fait si froid mais le spectacle de la voix lactée est tellement beau entre les résineux! Pas le temps de rêvasser cependant, je n'ai pas encore envie de subir un autre retour au campement en courant, brimade reçue à cause d'un autre soldat s'étant endormi lors de l'apprentissage du creusage des trous de dissimulation. 

Fini le cpc mon p'tit gars!

Nous observons des courtes pauses, quelques gorgées de gourde plus tard arrive mon tour de porter cette fichue caisse avec l'un de mes compagnons de fortune. Le périple reprend, la caisse est lourde, très lourde, le terrain accidenté. Nous traversons un cours d'eau, je trébuche, l'une des sangles de mon FAMAS se détache et s'éloigne au sein de l'obscurité, en rentrant il me faudra faire un rapport concernant cette perte. Je maintiens l'arme tant bien que mal avec la caisse, une vive douleur s'empare de ma cheville gauche. Cette dernière m'accompagnera jusqu'au retour de la caserne. Je ne dis rien, serre les dents, continue mais suis soulagé au moment de passer le relais concernant la réserve mobile de munitions. 

L'exercice se termine à la faveur de l'aube, un petit déjeuner nous attends dans un campement mobile, tenu par des hussards dispensés médicalement. Je suis exténué. Jamais un chocolat chaud accompagnés de ses tartines "au gaz" ne m'aura paru si précieux. Pas le temps de savourer la chose trop longtemps, nous devons plier bagages, direction à la caserne où un dernier exercice nous attends. La promesse de quelques heures de repos se rapproche néanmoins mais j'ai toujours aussi mal. Une fois arrivés en nos chambrées, quelques instants nous sont accordés. Je rêve d'une bonne douche chaude mais elle ne sera pas pour tout de suite. Bientôt il nous est demandé de revêtir nos effets de sport. J'enlève d'abord ma rangers gauche... Ma cheville est très enflée, violacée, l'un de mes camarades de chambre appelle le maréchal des logis chef... la suite des évènements est quelque peu relatée vers la fin de l'article "You're in the army now"... C'est avec des béquilles que je reviendrais en ma chambre, mon tympan encore intact (ceci est une autre histoire). Assis sur ma chaise de bureau, jetant un regard vers le noyer et les champs alentours, un sentiment insidieux s'empare alors de moi… Celui d'être étranger à ces lieux. 

10 commentaires:

  1. Cher temps Nyx, à te lire, me revoilà plongé dans mes classes que j’ai pu repousser le plus loin possible (23 ans) ….

    En effet, à l’appel du Contingent 98/12 …. Les manœuvres de nuit se sont également enchaînées comme toi, dans de nombreuses nuits d’hiver glaciale au milieu de nos belles forêts vosgiennes, où le simple fait de creuser un trou dans la glace était bien difficile …. J’en ai vu également des blessés parmi les appelés , dont un avec la rotule déboîtée après un saut dans la neige ordonné par un officier qui prenait son métier très à coeur …. Un autre asthmatique , marchant des kilomètres et des kilomètres avec sa ventoline a la main pour l’aider à tenir debout entre 2 respirations difficile … ou un autre encore dont les pieds étaient totalement recouverts d’ampoules cloquées après une longue marche de nuit dans des étangs vaseux….
    Que de souvenirs tout ça …. Mais relativisons en pensant à nos joysticks cassés et nos ampoules aux mains en enchaînant les niveaux à combats school sur notre amstrad adoré. ;-)

    LTF MIKE.FR

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    1. Salut Mike et merci pour ton commentaire. Je vois que tu as eu ton lot toi aussi et comme tu le soulignes, que diraient nos joysticks brisés sur les jeux tels que Daley Thompson ou Combat School :)

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  2. En lisant tes mésaventures je me dis qu'en fait mon service militaire était une partie de plaisir. Affecté en gendarmerie à Maisons-Alfort et ayant fait mes classes à Auxerre, le seul bémol était le major chargé des appelés, une vraie peau de vache alcoolisée. Mais il y avait Paris, ses monuments et ses musées, il y avait aussi une bonne ambiance et pas de brutasses ou de pervers dans les rangs. Je dirai même autant au départ je déprimais de me retrouver à 500 km de chez moi autant après qq semaines je me satisfaisais de ce dépaysement. Mais c'est aussi vrai que ces mois loin de mes machines chéries (Super Nintendo et PC à cette époque) m'ont fait un peu décrocher de ma passion. Cependant je restais en contact avec cet univers à travers les Joystick ou Génération 4 que j'achetais tous les mois (avec l'argent de mes parents parce qu'avec 500 Fr on allait pas loin ^^). De plus cela m'occupais un peu lors des longs trajets (4h30) en train Corail à travers la campagne française quand je pouvais rentrer certains WE.

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  3. Oui, le service militaire a également été une cassure concernant la passion que j'avais pour les jeux cpc y compris le magazine Amstrad 100% (qui s'arrêtait un an plus tard de toute manière). Comme tu le soulignes, les trajets en train corail (de nuit) étaient vraiment très longs et "pour 500 balles par mois t'avais plus rien" ^^

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  4. Que de souvenirs. Pour ma part comme NemoFox, service militaire en Gendarmerie. 1997. Sympa sauf le premier mois de classe où nous étions encadrés par une bande de petits chefs (des appelés comme nous on l'a su à la fin des classes) qui nous menaient la vie dure. Une vraie expérience de Stanford toute proportion gardée. J'avais même pensé à faire le mur.
    Et comme toi Temps Nyx et comme beaucoup d'appelés je ne me sentais pas vraiment à ma place dans cette caserne.

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    1. Salut Jack et merci pour ton commentaire. Malgré tout, nos services militaires ne nous ont pas fait oublier nos chères machines:)

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  5. Salut Temps Nyx. HARTMAN n'est pas le soldat incarné par Vincent D'Onofrio, mais le Sergent Instructeur lui-même. Le rôle est tenu par Lee ERMEY véritable sergent instructeur qui a eu le rôle alors qu'au début il était juste conseiller sur le tournage de Full Metal Jacket. Le soldat "Baleine" (PYLE en VO), Leonard Lawrence est le rôle de Vincent D'Onofrio. Soldat broyé par ce système militaire destiné à les transformer en "en Prêtres de la mort implorant la guerre".

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    1. Salut Jack et merci pour le rectificatif (j'ai corrigé l'article de ce fait)! Je me suis complètement emmêlé les pinceaux. Lee Ermey est également excellent dans le remake de "Massacre à la tronçonneuse" par Marcus Nispel en 2003. Encore merci.

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  6. J'aurais le même âge que toi l'année prochaine. J'avais repoussé le service national et au final j'ai fait parti du contingent 97/04 à l'École Interarmées des Sports de Fontainebleau (et pourtant j'étais tout sauf sportif) . C'était tellement cool que j'y suis resté deux ans, j'avais signé pour un service long, en tant que Secrétaire Médical. Je suis même parvenu au grade de Sergent sans jamais avoir fait le parcours du combattant ! N'est-ce pas formidable ? À l'époque, le CPC était déjà un lointain souvenir, nous étions passés du CPC 6128 à l'Amiga, puis à la PlayStation (première du nom). Mes parents ayant été déçu que suite à un été de labeurs, je consacre la quasi intégralité du revenu généré à une console de jeux, et des jeux fort chers... Il me semble que c'est peu avant 1997 que nous (moi et mes frères) avions pris un tournant vers les PC (la date de 1996 me revient en tête). En revenant de l'armée, c'était en 1999, une autre ère commençait, celle d'Internet avec au début des années 2000 la fameuse offre illimitée d'AOL qui était révolutionnaire à l'époque (pour 99 francs par mois !). Mais, dès 1997 et mon départ pour l'armée, l'attrait pour les jeux s'était déjà nettement estompé, et je ne pense pas avoir nourri un véritable intérêt pour les jeux à partir du moment où j'étais parti à l'Armée, donc à 23 ans. Je découvrais un nouveau monde à la caserne. Aucune brute épaisse à l'EIS, des exercices à l'Eau de Rose... le surnom de la caserne de l'EIS, c'était le Club Méditerarmées avec pour tenue obligatoire: le survêtement (pas le bleu clair tout moche non, mais celui de l'école qui était assez élégant !) . Que de souvenirs... J'aimais bien mon poste de Secrétaire Médical, car je passais le plus clair de la journée sur mon PC, et j'y étais bien. Bien des années plus tard, la nostalgie m'aurait presque fait racheter un CPC d'occasion... mais je n'ai jamais sauté le pas. Puis est venu le temps des émulateurs, mais fut un temps je les trouvais techniques à manipuler et ça me marchait pas sans bidouillages, quand ça marchait et je n'avais pas le courage de plonger dans les forums de discussions pour essayer de comprendre comment faire... puis encore bien après, je me suis rend compte que c'était devenu un jeu d'enfant, avec des émulateurs fonctionnant sans souci ! C'est totalement fou de pouvoir aujourd'hui jouer à des jeux qui me faisaient rêver quand j'étais ado ! (même rien que pas leur nom, comme Flying Shark par exemple) On a plus qu'à se servir. Ah la nostalgie... c'est replonger dans des temps réconfortants, qui ne changeront jamais, et qui sont rassurants, il y a parfois des regrets qui refont surfaces, des choses qu'on aurait dû faire et qu'on a pas faites... Et puis, lorsqu'on était jeunes, il y avait cette fameuse insouciance qu'on perd peu à peu avec l'âge (tout du moins pour ma part). Bref, je m'arrête là... merci en tout cas pour ton article qui me rappelle tant et tant de choses :) Enfin, je rajoute quand même que, au son de ta voix, il est difficile de penser que lui puisses avoir 50 ans l'année prochaine, tant ta voix sonne jeune. Est-ce que toi aussi tu as du mal à croire que toi puisses arriver à cet âge là ? Ici, on réveille des souvenirs, et il me semble que tout cela s'est passé récemment... et pourtant... le CPC 6128, ce sont des souvenirs qui ont pour moi commencé à l'été 1987, il y a de cela 36 ans !!!! C'est juste ... fou !

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    1. Salut et merci pour ton commentaire. Grâce à l'émulation j'ai également découvert des jeux manqués à l'époque. Je t'avoue que je n'ai pas vu arriver la cinquantaine et, effectivement, on me dit souvent que je parais plus jeune (je ne retranscris cependant pas certains épisodes de ma vie sur une bande audio face un journaliste et ne connais personne du nom de Lestat)! A bientôt :)

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