samedi 5 novembre 2022

You're in the army now

Été 1992. Le soleil est là comme le chantait L’affaire Louis trio (un peu plus tard) mais ses rayons me renvoient un goût amer. Au-dessus de mon bureau sur lequel trône mon Amstrad CPC 6128, un poster reprenant l’affiche de Batman Returns réalisé par Tim Burton qui s’apprête à sortir. Comme pour pas mal de films ayant leurs affiches accrochées sur les murs de ma chambre, je ne le verrai pas au cinéma mais lors de sa diffusion à la télé. De toute façon je n’ai pas réellement le cœur à ça, me contentant de tourner distraitement les pages d’un magazine Mad Movies dédié à la saga Alien dont le troisième volet réalisé par David Fincher est prévu pour la fin août. 

Pourquoi ne pas écouter un peu de musique, histoire de me changer les idées? J’allume ma chaîne hi-fi, une marque japonaise bon marché monobloc dotée d’une platine disque, du légendaire double cassettes, tuner et d’un lecteur cd. Comme à son habitude, cette dernière laisse échapper un souffle continu dont j’ai l’habitude de m’ accommoder. Bon vers quel album vais-je me diriger? « Synthétiseur 2 », le vinyle du film « Le parrain » dégoté dans un vieux carton des parents? Mon regard fini par croiser l’étiquette d’une cassette déjà présente dans l’un des lecteurs, celle d’une compilation maison arrangée par une copine de lycée. Lorsque j’enfonce la touche « play », le groupe Status Quo me rappelle, avec son morceau « In the army now », à ma triste réalité: au mois d’octobre, je vais incorporer l’Armée de Terre pour honorer mon service militaire, devançant l’appel. Habituellement, j’ai tendance à sourire face aux blagues de cette amie mais en cet instant mon visage se veut quelque peu crispé.

Wooooowwwoooowwwww....

Bon, je laisse tomber la musique finalement, j’éteins l’appareil me libérant ainsi de son souffle. Bientôt, un autre appareil me permettra d’emporter cette cassette avec moi, un walkman Aïwa auto reverse offert à l’occasion de mon anniversaire, bien plus léger que mon tout premier, la technologie évolue, « on avance on avance » comme chanterait Alain Souchon. C’est aussi un cadeau pour mon départ en Alsace, soit à 400 kilomètres de chez moi, petite « surprise » grinçante suite aux fameux trois jours passés à Lyon il y a quelques temps de cela afin de valider mon aptitude au service militaire: « Vous souhaitez être incorporé pas trop loin de chez vous? Pas de soucis! ». Je tourne en rond, bordel cette journée s’annonce sans queue ni tête! Mon regard se dirige à présent vers ma table de nuit où, près du radio réveil cubique au rouge criard (cadeau des Trois Suisses), est posée ma lecture du moment: Rain Man, l’adaptation en roman du film de Barry Levinson avec Tom Cruise et Dustin Hoffman, ce dernier jouant le rôle d’un homme autiste. J’ai beaucoup aimé le film et la curiosité m’a poussé à aborder le livre trouvé dans un coin de la bibliothèque familiale. En regardant la couverture j’ai toujours la musique en tête. Me voilà donc parti pour quelques (courts) instants de lecture. Mais rien y fait, mon indécision me pousse à abandonner les lignes au profit de mon Amstrad CPC éternel compagnon de jeu

Bon, c’est bien beau mais mon esprit tourmenté est-il décidé à choisir un soft? Mes yeux parcourent les titres à l’intérieur du carton dédié, le même depuis le début de ce jour d’été 1987. Depuis quelques temps, les disquettes aux boîtiers cristaux ont vu leur emballage se muer en simple étuis Amsoft teintés de gris et rouge. La maladie ayant rattrapé mon père , la fête n’est plus à la maison comme veut le faire croire ce slogan d’une célèbre marque de plats mexicains. La pudeur veut ici que je passe sous silence ce dernier point. Les voici donc ces disquettes aux étiquettes remplies de noms divers griffonnés à la hâte au crayon HB. Là, calée entre deux boîtiers cristaux témoins des beaux jours des feuillets bleus Micromania, l’une d’entre elle indique la présence d’un jeu sorti il y a quelques temps déjà: L’île de Alain Massoumipour alias Poum, rédacteur dans le magazine que je n’achète plus non plus,  Amstrad 100% devenu désormais bimestriel.

Toi qui a le courage...

C’est sans grande conviction que je me lance dans le soft édité par Ubi Soft. Bientôt l’écran de chargement, la voix digitalisée, sa musique et l’introduction du jeu font que la magie fonctionne encore. Me voilà sur une île déserte, accompagné par le ressac de l’océan. Mon but: retrouver mon prédécesseur échoué lui aussi sur cette île. Oui, l’ambiance est là, j’aime déjà beaucoup ce jeu d’aventure texte plus souple que ces prédécesseurs en la matière. Plus j’avance et plus l’envie de rester sur ce morceau de Terre perdu au milieu de nulle part se fait sentir. La difficulté est elle aussi adoucie, je termine l’aventure et n’ai qu’un souhait recommencer. Ce que je fais d’ailleurs. Car l’île sera le tout dernier jeu à tourner sur mon Amstrad CPC. Après ces quelques instants de jeu, le moniteur se manifeste par le relâchement de son plastique encore chaud, la lumière de cet été nettement moins chaud que les précédents m’appelle, prendre l’air ne me fera pas de mal.

Octobre s’est si vite profilé, j’ai l’impression d’être pris en traître. Le jour fatidique est finalement arrivé. Au-dehors, la Toyota corolla un peu essoufflée attend son passager, au volant ma mère. Mon sac sur l’épaule, je jette un dernier regard sur ma chambre: rien ne sera plus pareil désormais, je le sais. En refermant la porte, les autocollants de Batman et Robocop (obtenu dans la compilation « Les justiciers ») font leur apparition. Ce dernier m’assure qu’il veillera sur mes affaires avec sa mention: « Cette maison est gardée par Robocop ». Je souris à celle-ci et ne peut m’empêcher de murmurer: « Je compte sur toi mon vieux ». Allez, plus de temps à perdre, rater mon train est exclus. Il nous faut encore parcourir à peu près 35 kilomètres pour atteindre la gare qui n’est pas celle de la ville habituelle, une sombre histoire administrative.  Sur la route ma mère parle un peu histoire d’alléger l’instant et me glisse un billet dans la poche gauche de mon blouson. A un moment, nous traversons une route boisée par des résineux, ce qui me ramène à la séquence où Batman emmène Vicky Vale au volant de sa Batmobile sur la musique de Danny Elfman. Nerveux je m’assure que j’ai bien toutes mes affaires, surtout mon walkman accompagné de ses cassettes: « The Soul Cages » de Sting mais aussi « Nevermind » de Nirvana entre autre… sans oublier celle de ma copine de Lycée.

Toujours avoir sa b... et son couteau, première règle!

Les semaines passent, les classes sont douloureuses, il y a une entorse et du sang (tympan percé) à la clef, par conséquent quelques jours de convalescence me sont attribués. Une casquette de baseball vissée sur la tête, cachant mon crâne presque rasé, je me retrouve devant mon bon vieux CPC 6128 endormi sous les housses maison confectionnées par ma mère. Avant cela j’ai eu le droit à mille et une questions de mon paternel, lui qui était béret vert, vétéran de deux guerres et présent à certains moments clefs historique veut savoir ce qu’il en est. Un peu malgré moi (les réflexes reviennent vite), je jette un œil dans mon carton de softs. Je repense alors à « Combat School » présent sur la compilation « Dynamite » édité par Ocean et qui n’a jamais voulu tourner sur mon cpc 464 (comme l’a souligné un membre d’un des groupes Amstrad sur FB, mon lecteur avait peut-être un soucis au final). Ironie du sort, mon plâtre à la cheville m’évitera le fameux parcours du combattant. De plus le visage de l’instructeur me rappelle le maréchal des logis chef de mon peloton. Maigre, sec, mais capable de mettre à terre un appelé voulant jouer le caïd en un rien de temps. Finalement, je range le carton, remet les housses sur l’ordinateur, jouer ne me dit rien. Mon regard se pose sur les champs libres de toute neige en cet hiver 1992, puis sur le poster de  Batman Returns. Et si j’allais plutôt voir ce qui passe sur Canal +? Appuyé sur mes béquilles, je passe devant l’autocollant de Robocop… Merci Murphy, tu as bien fait ton job…

2 commentaires:

  1. Génération Micros5 novembre 2022 à 13:47

    Superbe texte, teinté de nostalgie et écrit avec beaucoup de classe !!!

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    1. Merci pour ton commentaire! Cela m'encourage à continuer :)

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