1989. Dans le silence d'une soirée automnale aux accents d'hiver prononcés, mon Amstrad cpc 6128 se retrouve dans une pièce qu'il n'a pas l'habitude de fréquenter. Là, posé sur le bureau paternel comme un artefact sur un autel sacré, ma machine communique avec un autre terminal: le minitel. La baie vitrée se charge elle de renvoyer les dernières lueurs d'une aube qui tire sa révérence derrière une haie constituée d'arbres bien plus vieux que moi. Mon regard quant à lui se rive quelques instants sur la barre de progression du... "téléchargement"? Je dois avouer qu'utiliser ce mot en écrivant ces lignes me semble quelque peu bizarre, pourtant c'est bien de cela dont il s'agit.
En ce samedi j'ai réussi un véritable tour de force en convaincant mon père de me laisser essayer le service "Amcharge" vanté au détour d'une publicité présente dans un numéro de Amstrad Cent Pour Cent. Le soft nécessaire était déjà présent sur l'un des jeux de ma "cpcthèque" (impossible de me rappeler lequel par contre) quant au kit à coup sûr nous l'avions commandé via Micromania. Une fois reçu sa mise en œuvre était réellement très simple: relier le minitel au cpc via le câble, lancer le soft puis saisir 3615 Amstrad sur l'appareil. A partir de là deux options majeures se présentaient: soit jouer à un soft en location ce qui incluait qu'une fois le cpc éteint, impossible d'y rejouer à moins de le rétélécharger, soit en faire l'acquisition ce qui sous entendait le sauvegarder sur un support vierge. Pour ma part c'est bien entendu la seconde qui fut choisie et mon dévolu s'était porté sur le jeu "The Dambusters"édité par U.S Gold en 1986, une simulation de bombardier pour laquelle Amstrad Cent Pour Cent conseillait vivement le téléchargement de la notice.
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La mort au bout du fil... |
Je dois avouer qu'écrire ces lignes relève ici du tâtonnement, ce souvenir se dessinant de manière fuyante désormais. Pourtant je me souviens encore du bureau bon marché de mon père sur lequel était posé l'objet du délit, le minitel qui jusqu'ici n'avait eu aucun intérêt à mes yeux, le parfum du carton des chemises et classeurs dans lesquels étaient renfermés tout un tas de papiers liés à l'administration française ou encore des écritures comptables qui relevaient pour moi d'une langue mystérieuse et surtout incompréhensible en l'état. Il y avait aussi les pots à crayons où se glissaient mille éclats de trombones égarés, morceaux de gommes fatigués d'avoir corrigé maintes erreurs. Mais revenons au flux de données qui parcourent alors les réseaux cuivrés de France Télécoms à la vitesse d'un escargot digérant une choucroute au Riesling.
A ma grande satisfaction, le chargement semble arriver à son terme bien qu'aucun incident n'est cependant à exclure. En cas d'échec, il me faudra relancer le chargement depuis le début ce que j'aurais fait sans l'ombre d'une crainte, porté par l'impulsion d'une certaine naïveté. Là encore impossible de me remémorer la suite des opérations, concernant la sauvegarde sur disquette, la notice. Ce qui me revient assez aisément par contre c'était l'exigence de "The Dambusters" peut-être encore plus que "Night Raider" de Gremlin dont je vous parlais ici. Une fois mon forfait accompli, le clavier du minitel se voit replié sur lui-même laissant place à un samedi soir placé sous un signe aérien.
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Une ombre autre que celle de l'avion plane sur moi... |
Quelques temps plus tard, tel un oiseau de mauvais augure, la facture téléphonique est déposée à la hâte par notre facteur dans notre boîte aux lettres souffrant des intempéries qui ne l'épargnent pas. A l'ouverture du pli je suis de passage dans la cuisine, en quête d'un peu d'eau fraîche... Bref un verre d'eau quoi. Du coin de l’œil je vois le visage de mon paternel quelque peu pâlir à la lecture du relevé, mon intuition me renvoit immédiatement les écrans du service "Amcharge". Sans un mot, mon père se lève pour se diriger vers sa chambre et, je m'en doute plus qu'un peu, vers son bureau... La demeure restera muette quant à la disparition du minitel, remplacé à la hâte par des effets professionnels. Mon intuition, bonne conseillère, m'incitera à ne pas poser de questions, me soufflera de ranger au fond d'un tiroir voir même d'enterrer le kit "Amcharge" et pourquoi pas prendre un passeport afin de m'extrader vers le Mexique. Les heures suivantes se voudront sans éclats, silencieuses mais aussi imposantes qu'un nuage enceinte d'une tempête. Mon intuition me parle un peu plus fort cette fois pour me conseiller également de bannir le nom "Amstrad" ainsi que le mot "jeu" de mon vocabulaire pendant quelques temps, ah et puis peut-être appeler Perry Mason histoire d'avoir un bon avocat... Allez, cet incident passera avec la marée et comme crierait Ripley au caporal Hicks dans "Aliens" de James Cameron: "On your feet soldier!".
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Cet appareil s’ auto-rangera dans... |
Je n'ai jamais connu le montant de la fameuse facture tout comme je n'ai jamais plus réutilisé le minitel ainsi que le service Amcharge par la suite.