mercredi 7 décembre 2022

Alice around the clock

1987. Je suis en pleine contemplation d’une moquette, celle de l’enseigne Majuscule où mes parents et moi avons atterri en ce milieu de matinée. Non, en cet instant je ne me suis pas découvert une vocation d’artisan décorateur mais celle d’une personne contrariée qui fait profil bas. Mes notes au collège ne sont pas astronomiques, elles ont même tendance à côtoyer le centre de la Terre (sans Jules Verne), mon père est un peu (voir beaucoup) au bord du désespoir alors ce passage en l’enseigne où mon CPC 464 fut acheté se fera sans l’ombre d’un espoir concernant l’acquisition d’un nouveau soft. 

Un peu comme à son habitude ma mère est restée dehors fumer sa cigarette tout droit sortie d’un paquet  rouge et blanc estampillé « Royal », elle n’aime guère s’enticher des conflits entre le paternel et moi. Silencieux, je suis mon père qui ajoute à la volée quelques stylos bics ainsi que l’un de ces cahiers de compte évoquant, via sa couleur et typographie, une austérité blessant mon imagination. Nous sommes sur le point d’atteindre la caisse du petit magasin, volant au passage un sourire de l’une des vendeuses qui nous a reconnu. Les contours de son visage me sont désormais flous je l’avoue mais je me souviens d'elle car son cou était toujours paré d'une sorte de stylo badge. Mon père s’arrête net juste avant de déposer les articles sur le comptoir et dans un souffle me demande de venir avec lui, nos pas nous menant tout droit vers le rayon dédié aux softs pour micro ordinateur. L’idée qu’il cherche un peu à me tourmenter s’éloigne lorsqu’il interpelle la vendeuse croisée quelques instants plus tôt.

Une certaine vision de l'Amstrad CPC...

A mon grand dam, le mot « jeu » est remplacé par « logiciel éducatif », ce qui génère en moi une multitude d’images et souvenirs déplaisants des journées barbantes (comme dit ma fille désormais) se déroulant dans les murs du collège. Il semble que mon paternel souhaite exploiter au mieux l’une des matières dans laquelle je montre un semblant d’intérêt: la langue anglaise. De retour vers la caisse, mes mains tiennent désormais un soft dont le boîtier équivaut à celui d’une cassette vidéo: Balade au pays de Big Ben édité par Coktel Vision en 1985. Toujours silencieux, je respire tout de même un peu, j’aurais très bien pu me retrouver avec un logiciel dédié aux maths!  Si mon intuition est bonne, ce mercredi après-midi sera loin d’être une partie de plaisir.

Sur la route du retour, l’autoradio crache quelques informations austères, avant que mon père ne sorte l’une de ses cassettes audio utilisée dans le cadre de son emploi, se déroulant à quelques occasions dans des foires expo (entre le saucisson local et le marchand de télévisions). Sur cette dernière, des chanteurs anonymes reprennent à tour de bras des hits de différents horizons dont l’intouchable « Ghostbusters » de Ray Parker Jr. Tout du moins, jusqu’à présent,  c’est ce que je croyais. Les droits d’auteur passeront encore de bien mauvais jours. 

Alice is under a tree and elle a bien de la chance!

Une fois rentré, des informations supplémentaires du journal télévisé d’Antenne 2 et un repas plus tard, mon paternel m’empresse d’essayer le soft. En cet instant, ma partie obscure de sale gosse souhaite qu’un read error b vienne s’immiscer lors du chargement mais ma prière reste sourde, bientôt le son du transfert de données cède sa place à Alice qui semble s’être évadée du roman de Lewis Caroll pour venir tester mes connaissances en anglais. Pour sûr, demain, j’aurais de quoi me mettre en avant auprès de la prof d’anglais! Peu à peu, sous l’œil parental soulagé , ma crainte d’un sale quart d’heure se mue en intérêt. Bien que la partie d’échec écrite par Lewis Caroll ne soit pas mon genre de littérature, je bafoue les droits de l’ennui pour me surprendre à m’amuser finalement, en répondant aux questions après avoir écouté la partie audio accompagnant le soft. 

I just want to play to Gryzor please!

Satisfait par ce qu’il vient de voir, mon paternel quitte ma chambre, me laissant de nouveau replonger dans l'univers que j'affectionne, celui du jeu sur Amstrad. Par la suite, « Balade au pays de Big Ben » restera le seul logiciel éducatif  ayant approché mon CPC 464.

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