1995. C’est la fin d’une longue semaine de travail. Depuis peu je goûte aux « joies » des horaires alternés dans cette petite entreprise familiale de mécanique de précision. Le bâtiment est en réalité un vaste hangar ouvert aux quatre vents, composés de béton pour les murs, de tôles pour le toit. L’été, avec la chaleur produite par les machines en plus, l’endroit est un four. Lorsque la saison froide s’en vient, il est hors de question pour le patron de chauffer les lieux et ces damnées blocs d’aciers à commandes numériques se contentent de renvoyer le parfum nauséeux d’huile de coupe.
Quoiqu’il en soit il est à présent 21h00 et je quitte enfin mon poste en ce vendredi soir. L’air extérieur drapant de son manteau glacial les ombres, qui se dispersent au gré de la lumière crue d’un néon extérieur, surprend à peine. Les moteurs démarrent, avec peine pour certains, les chauffages de ces véhicules, modestes pour la plupart, sont soudainement sollicités. La lune est là, compagne des moments difficiles et du dégoût qui se saisit de moi aux alentours de 4h50 lorsque j’attends l’ouverture du lourd portail des lieux le lundi matin. Le court ballet des véhicules qui se pressent vers la sortie m’extrait de ces rêveries (rien à voir avec celles du promeneur solitaire), j’ai hâte de rentrer chez moi.
Bientôt la nationale qui traverse la petite ville industrielle où je vis depuis peu voit un flot incessant de phares éclairer le marquage blanchâtre du bitume. La luciférine de ces insectes métalliques, qui se dirigent vers une destination offerte à la discrétion nocturne, éclipsent temporairement la pâle lumière des lampadaires parsemant les trottoirs alentours. Quelques heures plus tard, un peu comme dans la chanson « Moon over Bourbon Street » de Sting (inspirée par « Entretien avec un vampire » de Anne Rice), un piéton bénira peut-être pourtant ces halos municipaux. Quant aux étoiles, à leur firmament, elles n’ont guère d’écho dans ces cerveaux drainés par les gestes répétitifs d’une journée trop longue.
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There's a moon over Borbon street tonight... |
Attendez, j’y suis presque, oui, nous y voici. Ah, une voiture se trouve encore stationnée devant le garage de ce miteux appartement que je loue. Tant pis, je n’ai pas la force d’aller chercher le squatteur d’autant que parfois, dans le coin, les esprits s’échauffent rapidement. Allez, encore quelques pas et dame silence m’offrira ses bras…. Excepté si les murs aussi fins que le papier des cigarettes fumées par ma mère à quelques kilomètres de là en décident autrement. Il n’est pas rare de subir les querelles conjugales de mes voisins à ma gauche ou encore la musique de celui à ma droite. Après avoir ouvert à la volée la porte bon marché qu’un faible coup d’épaule suffirait à fracasser; j’entreprends de fermer mes volets accordéons attaqués par un début de rouille mais qui me protège néanmoins un peu du froid qui s’invite par la fenêtre simple vitrage. Une fois la petite lampe allumée, mon univers contenu dans cet espace d’à peine 21m² se dévoile.
Oh, il n’y a pas grand chose! Un clic clac, une bibliothèque basse bringuebalante mais qui supporte un petit trésor: une micro chaîne stéréo de marque JVC achetée avec mon premier salaire. A cette époque j’écoute encore beaucoup de musique. Un peu plus loin, un autre meuble accueillera quant lui la télévision 36 cm d’une marque obscure qui disparaîtra dans l’abîme du temps chère à Lovecraft. Juste en dessous, un autre butin est discrètement rangé: La console Megadrive de Sega (le second modèle).
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Quand c'était plus fort que toi |
Achetée depuis peu avec Sonic 2 (eh oui, c’était le temps où la cartouche était encore incluse en physique avec la console, sans code, sans téléchargements ni compte à créer), cette dernière m’a permis de renouer un lien avec le jeu vidéo délaissé avec l’Amstrad cpc. Mais en ce vendredi soir je me sens trop fatigué pour jouer à quoique ce soit. Qui plus est, bien qu’excellentes, j’avoue commencer à me lasser des aventures du hérisson bleu. Aussi, le reste de la soirée me verra affalé sur mon clic clac aux teintes tabac, devant un épisode de X-Files ou l’immortelle peut-être. Morphée ne tardera pas à venir solliciter mon attention, écartant peut-être par la même occasion l’appel devenu quasi habituel du patron de l’usine me demandant de revenir le samedi matin pour produire encore un peu plus de pièces, histoire d’avoir de l’avance sur les prochaines commandes.
Mon sommeil sera teinté par la lourdeur, abandonnant rêves et cauchemars le long du chemin esquissé par Nyx. A mon réveil, la matinée déjà bien avancée me murmure une autre réalité: les courses dans le super marché local, souvent bondé en ce jour de Saturne. Placards et frigo vides ne laissent planer aucun doute, je ne peux me soustraire à cette corvée. Cependant la perspective de faire également un saut dans le rayon jeu vidéo illumine cette morne perspective. En cet instant, concernant ce multimédia, il n’y a pas d’autre alternative car aucune boutique indépendante n’est présente, pas même dans le centre-ville.
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Je vous parle un peu de lui juste en dessous |
Quelques instants plus tard, entre les denrées alimentaires, la boîte de « Batman Returns » reprenant les trois antagonistes principaux du film (1992) de Tim Burton trouve sa place. J’ai adoré le film appuyé par la musique de Danny Elfman et d’ailleurs, inutile ici de chercher la moindre subjectivité en ces lignes car j’apprécie énormément le travail du réalisateur. Après avoir rangé à la hâte les diverses victuailles, je n’ai bien sûr qu’une idée en tête: essayer cette adaptation sans plus tarder! D’autant que le dernier jeu Batman auquel j’ai joué se trouvait être « Batman The Movie » sur mon Amstrad cpc 6128 devenu propriété de mon frère par la suite. C’est sans compter sur l’appel de mon paternel qui me demande instamment de l’aider pour un obscur déplacement de meubles.
Haut les cœurs, il me faudra attendre dame nocturne avant de m’essayer au jeu. En ce samedi soir où les appartements alentours se veulent délaisser par la plupart de leurs occupants, il est temps pour moi de partir vers Gotham City où l’hiver sévit. Alors que le logo Sega s’estompe, la première émotion m’est procurée par la musique mélancolique tout à fait dans le ton du long-métrage de Tim Burton, puis vient la scène où la reine des glaces fait une chute vertigineuse. Il ne m’en faut pas plus pour dessiner la scène en mon esprit, ce qui me donne envie de revoir le film.
Les compositions suivantes me feront un peu moins cet effet mais sont, pour certaines, en adéquation avec l’ensemble. Le jeu est clairement orienté plateformes et si le premier niveau ne pose pas réellement de difficulté, il n’en sera pas de même pour les suivants. Graphiquement parlant je suis également assez éblouis, venant de l’Amstrad cpc la megadrive m’impressionne forcément. La trame principale du jeu reprend celle du long métrage, défaire le pingouin protégé par ses acolytes du cirque du triangle rouge sans oublier Catwoman (incarnée sublimement par Michelle Pfeiffer) qui viendra parfois semer le trouble sur notre passage.
Alors que les différents gadgets de Bruce Wayne m’aident à avancer tant bien que mal, certains niveaux appuyés par le thème musical me replongent dans l’esthétisme gothique de Tim Burton. Je me souviens d’ailleurs encore du poster de « Batman Returns » fièrement accroché au-dessus de mon bureau du temps de l’Amstrad cpc 6128, juste avant de partir pour le service militaire en 1992.
Les heures défilent, mes nouveaux essais après chaque « game over » également et c’est en butant sur le niveau des égouts que je me déciderais à arrêter là pour cette fois. Je ne parviendrais jamais à aller au-delà. Morphée fait son retour lui aussi, les mains fermement posées sur mes épaules, le sommeil me gagne aussi lourd que la nuit précédente mais bordé cette fois-ci par l’empreinte de cette adaptation dont je garde un excellent souvenir.
Salut Temps Nyx. Bien que fan de Batman et de son univers sombre, je n'ai joué qu'au premier volet sur Mégadrive. Les suites ne m'avaient pas attirées. En tout cas c' est toujours un réel plaisir de te lire. Tu es un magicien des mots. La mélancolie et la tristesse imprègnent tes souvenirs, et j'espère sincèrement qu'aujourd'hui tu es heureux et épanoui dans ta vie. A bientôt.
RépondreSupprimerSalut Jack et merci beaucoup pour ton commentaire :) Tout comme toi je suis assez fan de Batman. Il y a quelques temps je me suis replongé dans la trilogie de Rocksteady, vraiment excellente, reflétant cet univers sombre justement qui m'a toujours attiré également. Sous bien des aspects la vie se veut quelque peu plus douce désormais, j'espère qu'elle l'est pour toi également. A bientôt.
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