Janvier 1989. Les effluves de cette fin d’année 1988 se parent à présent d'ombres, les vacances sont terminées et c’est avec une amertume à peine déguisée que les cours au collège ont repris. Comme je l’ai évoqué dans un autre article, de nouveaux softs sont venus enrichir ma « cpcthèque », restant en ma mémoire contrairement à la neige, cette dernière laissant peu à peu la place au gel.
En ce mercredi soir, ma chambre est encore emplie des notes de la chanson « Wrapped around your finger » du groupe « The Police" dont le clip voyait Sting tout de blanc vêtu prévenir son maître qu’il le surpasserait sous peu. Mais ma chaîne hi-fi au souffle prononcé se tait bientôt pour entendre le haut-parleur de mon cpc 464 délivrer une toute autre mélodie, celle du chargement des données. Les bandes de l’écran de chargement s’agiteront au grès du flux des informations transmises, laissant les prochaines minutes promettre qu’au bout de quelques instants, « The Last Ninja 2 » me permettra d’essayer de guider Armakuni vers son ennemi juré. Sur la moquette beige passée, mon sac tassé contre un coin de mon bureau déjà prêt pour une nouvelle journée de collège me rappelle que je dois profiter de chaque instant tandis que le plastique du moniteur est partiellement éclairé par ma lampe de bureau bleue articulée. D’ailleurs celle-ci fait état de quelque poussière « menaçant » ma machine, je m’empresse de chasser ces quelques grains avec un chiffon dormant dans l’un des tiroirs de mon bureau, parmi divers artefacts précieux tels que des gadgets, reliques d’anciens PIF. Une fois cette disgrâce balayée, l’étrange musique du jeu de System 3 s’élève dans l’air chaud de la pièce. C’est lors de ces instants saisis à la volée qu’une voix intérieure me chuchote: « Apprécie la chance que tu as ».
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Bien évaluer son saut... |
Je dois refaire le premier niveau, mais commençant à bien connaître ce dernier j’arrive assez rapidement au second malgré quelques écueils concernant les sauts à certains endroits. Là encore quelques repères m’aident à progresser mais il me manque des objets, notamment la clef, sésame permettant d’ouvrir la plaque d’égout du troisième niveau. Au détour d’une rue j’oublie les dangers urbains et ne prête pas attention au feu tricolore… me voici au sol, renversé par une moto. Il semble que Armakuni ne soit pas tout à fait prêt à appréhender ce monde étrange qui l' entoure. A l’extérieur, le son de la cloche d’entrée me prévient d'une visite inopinée, les rumeurs de salutations m’indiquent qu’il s’agit du voisin habitant juste en face de chez nous. L’heure du repas sera quelque peu décalée me permettant ainsi de retenter ma chance, mais après avoir perdu ma dernière vie j’avoue être gagné par la lassitude d’autant que cette lune froide d’hiver attire mon attention en laissant étendre ses pâles rayons par ma fenêtre. D’ailleurs je ferais mieux de fermer les volets si je ne veux pas subir la remontrance paternelle concernant l’isolation. Le contact avec l’aluminium de la menuiserie se veut froid, l’air glacial saisit mon visage, pour autant la beauté de l’astre cendré termine de m’hypnotiser une fois de plus et après avoir fermé mes volets puis mis mon Amstrad hors tension, me voici fin prêt à aller admirer la beauté de la nuit, la musique de « The Last Ninja 2 » encore à l’esprit.
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A System 3 j'y vais... |
Souhaitant éviter rompre le charme de cet instant, je sors par la buanderie à quelques pas de mon sanctuaire, chaudement vêtu, pour éviter les salutations liées à la courtoisie de mise lorsqu’un visiteur se présente. Là, sur les dalles pour la plupart ébréchées qui composent la petite terrasse sur le côté de la maison, j’embrasse la nuit à plein poumon, mon souffle ressemblant à celui d’un dragon anémique. Au loin, derrière la haie d’arbres décharnés par les affres hivernaux, les lumières publiques du petit village voisin ne ressemblent guère plus qu’à des timides feux-follets venus jouer des tours espiègles aux vivants égarés. Combien de temps resterais-je à m’imprégner de ce monde nocturne aux allures figées? Son emprise m’empêche de répondre à cette question. Après avoir fait encore quelques pas, je jette un dernier regard vers le ciel, essayant de trouver la constellation d’Orion atteinte de timidité face à la lumière argentée omniprésente. Ma contemplation est d’ailleurs interrompue par le départ de notre visiteur (du mercredi, les plus anciens saisiront l’allusion), l’heure du dîner s’approche donc rapidement.
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Bien observer les feux sinon... |
En rentrant l’air chaud du foyer m’accueille, se chargeant d’effacer les courts instants passés au sein de cette soirée glaciale, mon odorat quant à lui tient à conserver encore quelques minutes le parfum du feu de bois consumé, distillé par le conduit de cheminée. Alors que j’enlève gants et bonnet, je me remémore les pas effectués au fil des rues de « la grosse pomme ». Pour sûr, après le dîner je ne compte pas abandonner le dernier ninja sans avoir tenté une nouvelle fois d’atteindre le prochain niveau… Un doute se présente à moi… Ai-je bien fait mes exercices de maths?
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