lundi 7 novembre 2022

Well, what can I do for you?

1994 ===> 1997. A regrets, j’ai dû laisser l’Auvergne dans le rétroviseur de ma Peugeot 104 Z après un dernier regard vers les champs qui ne seront plus jamais miens. Sur la route menant à ma nouvelle région d’adoption, l’autoradio estampillé Blaupunkt déverse via les baffles faisant quelque peu vibrer les portières, « Driven to tears » du groupe « The Police ». « What is my reaction, what should it be? » chante Sting… Qu’il en soit ainsi, les choses ne vont pas toujours dans le sens souhaité.  Devant moi, la voiture des parents, conduite par mon père  « omniscient », les kilomètres défilent, l’amertume aussi… Bientôt les lumières blafardes des lampadaires se substitueront aux étoiles du ciel bourbonnais, les rues tentaculaires, bruyantes, remplaceront le hululement des chouettes et les champs cesseront de chanter pour moi sous le givre d’hiver.

Trois gusses, une caisse, un souvenir...

Ce qu’on appelle la vie active est déjà venue à ma rencontre, juste après le service militaire, mais prend une autre forme au sein d’une usine de mécanique, me propulsant dans une spirale de brûlures lorsque les copeaux volent d’une machine peu sécurisée, de sang lorsque mes mains rencontrent l’appétit vorace d’une meule sans âme. Il y a aussi le froid mordant des matins d’hiver éclairées parfois par la pleine lune déversant sa lumière en l’habitacle de ma voiture alors que j’attends l’ouverture des portes dont s’échappe une lumière crue. A l’intérieur, la température n’est guère plus indulgente, la faute au chauffage en panne à moins que ce ne soit celle du patron, un vieux de la vieille des manufactures, qui ne souhaite pas le faire réparer. Place ensuite à l’été, transformant désormais le hangar lié d’amitié aux quatre vents en fournaise appuyé par l’odeur d’huile de coupe, crissement du chariot élévateur et hurlement aiguë des pièces métalliques en cours de transformation. Il y a bien des ombres, celles des inspecteurs du travail, qui passent de temps en temps mais leurs recommandations ne ressemblent guère plus qu’à des spectres de pacotilles brandis pour Halloween. 

Le temps passe (emmène la mémoire comme le chantait Silmarils), les locations s'enchaînent, les parents voient les maisons se succéder, pour moi ce sont les appartements, au détour des saisons une silhouette féminine vient embrasser certains d’entre eux. Il y a aussi le retour à la case départ accompagné par Opale, la chatte noire dont je vous ai déjà parlé dans les articles précédents. En cette année 1997, c’est dans une petite impasse que mes parents louent un modeste pavillon à proximité d’une école de gendarmerie. Le voisinage immédiat est essentiellement composé de familles de militaires mais aussi de personnes retraitées, l’ambiance est plutôt bonne, apaisée. Les bâtiments sont mitoyens pour la plupart et en cette matinée mon père semble avoir sympathisé avec notre voisin immédiat, un officier exerçant au sein de l’école à deux pas d’ici. Il a deux fils, Yann et Frédéric. Le premier est versé dans le domaine informatique et suit des études en ce sens. Le second, un peu rebelle, suit son propre chemin. Nous sympathisons nous aussi et je me retrouve chez eux après quelques paroles échangées.

Là, dans la chambre de Yann, une bécane de compétition (pour l’époque) est à l’œuvre. Il s’évertue à rentabiliser l’achat d’un graveur et d’une pile de disque vierge. Moi, j’ai fait quelques pas timides en informatique avec une configuration honnête (appuyé par l’analyse de Yann) doté de Windows 95. La discussion dévie très rapidement vers le jeu vidéo. L’Auvergne n’est pas la seule à être restée derrière moi, mon cpc 6128 également. Ce dernier a trouvé place chez mon frère l’ayant récupéré lors de sa dernière visite. Mais pour l’heure les discussions sont vives, passionnées. L’opération gravure est momentanément mise de côté et notre amitié se consolide autour de ma toute première partie LAN dans Duke Nukem après quelques connexions et l’ordinateur de leur père rapatrié dans la chambre. Les deux frangins se relaient face à moi, les rires ne tardent pas à fuser bref c’est l’éclate totale.

Nous nous sommes tant aimés...

La partie terminée, les choses sérieuses reprennent, un nouveau disque vierge relance la procédure de gravure. Au bout de quelques instants un message contrarie Yann, les disques vierges semblent être de piètre qualité puisque l’opération vient d’échouer à nouveau. Posée à proximité du clavier, sur un bureau ordonné, une boîte attire mon attention. Accaparé par le problème, Frédéric me tend cette dernière parée de noir sur lequel un démon au regard puissant et moqueur à la fois défie les mortels. Le titre de ce jeu: Diablo édité par… Blizzard? Je ne connais pas mais en réalité le jeu sur PC m’est totalement étranger en cet instant. D’un haussement d’épaule, je signifie aux deux frères mon ignorance concernant le soft. Il ne leur en fallait pas plus pour me faire essayer le jeu.  Après quelques accès disque, me voici face à l’imposant logo Blizzard s’annonçant bruyamment puis le menu principal du jeu reprend les ténèbres de la boîte. Une musique, discrète tout d’abord, monte en puissance. Quelque chose se réveille en moi mais je ne suis cependant absolument pas près pour ce qui va survenir.

Mouaahahahahahahahahahahahahahahaha!

Une partie étant déjà entamée, Yann prends les commandes d’un guerrier. En réalité il est possible de choisir deux autres classes: archer ou sorcier. Un nouveau chargement se présente. Un séisme se prépare dans les cliquetis de la machine… Il suffit d’un seul morceau, composé par Matt Uelmen (comme le reste de la bande son d’ailleurs) intitulé Tristram pour créer en moi un nouveau choc émotionnel lié au jeu vidéo. Quelle musique, non mais QUELLE MUSIQUE!!!! Preuve en est puisque, après toutes ces années, le morceau me sert de réveil matin. En quelques secondes, me voici happé par l’univers de Diablo. J’ère dans ce village où, un forgeron, un guérisseur, un aubergiste ainsi que sa serveuse, un vieil érudit et une sorcière sont en proie à un grand tourment: la désacralisation de l’église locale par un puissant démon: Diablo.  Cette rapide description est loin de faire honneur au « lore » et je laisse les différents wiki compléter ces quelques mots, veuillez me pardonner Roi Léoric!

Pour être tout à fait honnête, à cette époque, mes notions de RPG ne sont que rudiments archaïques même si ici le jeu est de type « Hack’n’Slash ». L’aventure se poursuit, nous voici en l’église maudite, la musique change, l’ambiance est oppressante. Je suis conquis. Frédéric a un petit sourire en coin et donne un coup de coude de connivence à son frère. L’heure tourne, je dois les laisser, des images plein la tête. Entre deux je discute avec leurs parents, je les apprécie également et c’est réciproque. Alors que je m’apprête à sortir, Yann m’interpelle en me tendant un disque. Je reconnais cette dernière, c'est celle de Diablo qu'il me prête. Après l’avoir remercié, je repars avec le sourire, la musique de Tristram en tête qui ne me quittera plus.  Quelques pas plus tard, une tête de chat dépasse des rideaux de ma chambre située au rez-de-chaussé, Opale m’attend de patte ferme avec ses grands yeux jaunes, un peu comme de la télépathie je lui lance « soyons indolents» de la chanson « immobile » du groupe français « Autour de Lucie » découverte musicale post déménagement. Mais en réalité j’ai hâte d’installer mon nouveau jeu!

Et maintenant?  Le disque de Diablo emprunté aux deux frères est depuis longtemps retourné chez lui, se perdant dans les sables du temps (Le Prince de Perse sait de quoi je parle) tout comme nos chemins de vie. D’ailleurs, si d’aventure Yann ou Frédéric lisaient ces lignes, qu’ils n’hésitent pas à me contacter, rien ne me ferait plus plaisir. Entre temps, un certain GOG est venu à ma rescousse, en proposant la réédition de Diablo pour une somme modique. Ainsi, à chaque fois que j’entends les premières notes de Tristram résonner en mes oreilles, je me remémore irrémédiablement cette journée de 1997….. « Well, what can I do forrrr you? ».

Dédié à Yann et Frédéric.

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