mercredi 31 juillet 2024

Un dimanche après-midi (Chroniques de Nabret)

 Voici un texte écrit par mes soins il y a quelques années de cela. Nabret est un petit village d'Auvergne en proie à certains évènements surnaturels. En son sein, trois vieux bougres y mènent des actions dans l'ombre, afin d'enrayer certains maux que l'homme ne peut réellement comprendre. Voici l'une de leurs aventures.

C’était l’un de ces repas, parfumés par les légumes du jardin, la tarte aux pommes de Martha, agrémentés par les discussions animées des trois hommes dont l’âge pointait désormais définitivement vers une retraite qu’ils ne verraient sans doute jamais. La première raison était qu’ils ne la souhaitaient pas, la seconde c’est que leur activité secondaire était de celles qui ne dormaient jamais en réalité. Jack était garagiste, le seul de Nabret et même l’unique avant la grande ville la plus proche située à environ trente kilomètres. Reconnu autant pour son professionnalisme à l’ancienne que pour son sale caractère, l’homme bien portant à la barbe poivre et sel fournie et aux cheveux argentés, voyait son agenda toujours plein. Sa femme Martha, dotée d’une patience à toute épreuve mais pas sans limite, l’aidait activement en prenant les appels téléphoniques. Leur demeure était attenante au garage qui ressemblait souvent plus à un bric à brac qu’à un établissement de renom et c’est là que la petite troupe de vieux schnocks se retrouvait souvent pour le repas dominical.

Personne ne savait réellement ce que faisait Alfred. Il fût jadis cantonnier de la commune mais une brouille avec l’un des maires de l’époque le vit se faire déloger de sa fonction. Cela ne l’empêchait pas d’être sur le pont à la première heure pour aider les employés communaux notamment lorsqu’il fallait déblayer et saler les routes suite à une forte chute de neige. Officiellement le maire actuel le tolérait, officieusement ce dernier était fort content de compter sur l’expérience d’un homme qui connaissait le village depuis fort longtemps même si, selon ses mots, Alfred n’était ni plus ni moins qu’un « vieil emmerdeur ». Affublé de son chapeau de type Panama kaki à la propreté douteuse et des  chaussures de jardin qu’il ne semblait jamais quitter, le vieil homme avait un visage plutôt rugueux, creux, légèrement recouvert d’une barbe grisonnante clairsemée. Des yeux d’un bleu d’acier complétaient le personnage.

George, le bibliothécaire du village, contrastait avec ses deux comparses. Son allure tirée à quatre épingles, ses lunettes rondes teintées et ce qui lui restait de cheveux tirés en un catogan lui donnaient un air de vieux sage chinois. Son visage rond faisait état d’une peau dont il prenait soin, s’animant souvent d’un large sourire lorsque Jack et Alfred se disputaient gentiment. Il était d’un caractère plutôt effacé mais avait le don d’analyser chaque situation avec une justesse presque surnaturelle. Ses deux amis n’imaginaient pas un seul instant opérer sans lui, tout du moins si cela arrivait, le stress de son absence était omniprésent mais cela n’arrivait jamais et lorsque le jour arriverait où l’un de la fine équipe manquerait, il serait alors temps d’arrêter. 

Ainsi, dans la salle à manger aux meubles de chênes robustes, élégants, le repas se terminait éclairé par un timide soleil de début d’après-midi, tracassé par quelques nuages d’automne poussés par le vent paresseux.

Soudain l’horloge massive disposée dans un coin de la pièce, non loin de la table rectangulaire, sonna quatorze heures. L’ardeur des discussions fit bientôt place au silence, les sourires s’estompèrent, les visages devinrent graves. Dans un geste maladroit, Alfred renversa un peu de café sur son pantalon non sans grogner un « bordel de merde ». Les regards se firent vagues, chacun bientôt perdu dans ses pensées. Jack brisa cet instant en tirant de l’une des poches de son vieux gilet râpé sa boîte de cigarillo « cherry ». Il la tendit à Alfred qui en saisit un avec gratitude, le garagiste n’en proposa pas à Martha. Elle se vit offrir une « Dunhill » par Georges qui alluma les deux cigarettes ainsi que les cigarillos avec un élégant briquet argenté légué par son père, il y avait de cela une éternité lui semblait-il. Après avoir tiré une bouffée, Alfred émit un «ouep ».  Toujours en silence, le garagiste se leva pour se saisir de quatre verres à digestif ainsi que d’une bouteille dont le contenu semblait tout droit sorti d’un conte alchimique. Sur le flacon était inscrit « De la part de Mazières et Charroux ». Alfred siffla, médusé.

– Bah ça alors, t’en as croisé du beau monde! (Jack sourit en se grattant la barbe.)

– C’est des conneries, j’ai jamais croisé ces gars sauf dans la bibliothèque de Georges, j’ai trouvé ça moins con d’appeler la bouteille « Poire » ou « La Bibine à Jack ».

Le silence retombait tandis que l’homme imposant versait l’alcool dans les verres. Martha l’avala d’un cul sec en toussant un peu. Les trois hommes eux, n’avaient pas encore touché au verre qui pouvait être à chaque fois le dernier. D’une voix douce qui trahissait une main de fer dans un gant de velours, elle s’adressa aux trois comparses:

– Je crois que vous avez du travail messieurs, et le soleil se couche tôt, n’est-ce pas?

Elle avait parfaitement raison et ils le savaient. Aussi vidèrent-ils leur verre en deux traites. La boisson sembla faire son effet et bien qu’il connaissait la réponse d’avance, Georges posa tout de même la question histoire de se mettre dans le ton:

– Tu as préparé le matériel Jack?

Le vieil homme acquiesça, nullement offusqué par la question. Alfred lâcha un pet, Jack rota, Georges se hâta d’attirer la fumée de sa cigarette presque entièrement consumée comme si il s’agissait du seul air non vicié encore viable dans la pièce. L’ex cantonnier émit encore un « ouep » avant de se lever imité par les deux autres. Martha leur fit comprendre qu’elle débarrasserait la table.

 Après avoir traversé la salle à manger et l’entrée, ils sortirent pour atteindre le garage, sous un vent qui se voulait à présent plus actif. Leur odorat ne prit pas en compte les différentes odeurs d’huiles, d’essence et tous les produits que pouvait receler un établissement de ce type. Connaissant parfaitement le chemin, les trois hommes parvinrent dans l’étroit cagibi situé au fond à droite du petit hangar et qui servait de bureau à Jack. Il y rangeait son facturier et toute sorte de « conneries » comme il aimait à dire. Mais ce qu’il sortit du petit coffre fort, masqué par le désordre ne relevait pas de la « connerie ».  C’était une sacoche en cuir, de celle qui se dépliait entièrement. Son contenu était composé de sept pieux, de quatre flacons d’eau bénite, de trois topettes contenant de l’ail, de deux crucifix en argent tenant dans la paume de la main ainsi que d’une bible.

Georges regarda Alfred d’un ton interrogateur, le vieil homme s’empressa de lui répondre avec un certain agacement:

– Ouais ouais c’est bon j’ai mon crucifix dans ma poche de parka qu’j’te dis. (Le bibliothécaire ne semblait pas convaincu mais Alfred refusa pourtant de vérifier.) J’te dis qu’c’est bon, j’l’ai mis dans ma poche avant de venir bordel!

Georges n’insista pas et se contenta de se munir d’un tour de cou renforcé que le garagiste avait sorti entre temps du coffre. Ses deux amis l’imitèrent et tous terminèrent de s’habiller chaudement. Ainsi emmitouflés, les trois hommes sortirent du garage pour se diriger vers la voiture du vieil Alfred, tout en s’assurant que le garage était bien fermé et en faisant signe à Martha qui les regardait depuis la fenêtre de la salle à manger.

– T’es garé comme une merde, signifia Jack au cantonnier en attendant que ce dernier déverrouille la porte passager de la 4L fourgonnette au beige crasseux.

Tirant une bouffée sur le nouveau cigarillo qu’il venait d’entamer, l’homme haussa les épaules en faisant signe que la porte était déjà ouverte. Ses deux compères se tassèrent sur la banquette avant. A l’arrière, le bois de chauffe entassé renvoyait un parfum de mousse et d’humidité. La voiture hoqueta deux fois avant de démarrer, Jack ne releva pas, sachant pertinemment qu’Alfred était un cas désespéré quant à l’entretien de sa voiture. Un jour il se retrouverait en panne au milieu de nulle part, c’est-à-dire dès que l’on sortait de Nabret, et Jack ne viendrait sûrement pas le dépanner, que le bounhoume se démerde tout seul! En réalité il savait pertinemment qu’il viendrait lui filer un coup de main quoiqu’il arrive

Péniblement, la voiture décolla du trottoir. Au bout de la rue où étaient situés la mairie, le bar restaurant « Le Bilboquet » ainsi que quelques habitations, elle avait à peine atteint les 20 kilomètres heures. 

– Tu sais c’est 50 la limitation? Souffla ironiquement Georges. Alfred mâchonna son cigarillo

– J’t’emmerde vieux con! lui répondit-il.

Finalement, l’équipe sortit du village, passant devant les deux autres bars, l’épicerie, la poste, l’église et la boulangerie. Alfred n’oublia pas de préciser, comme d’habitude, qu’une fois il avait retrouvé un mégot de clope dans son pain. Et à chaque fois Jack lui signifia que, lui, avait toujours trouvé le pain potable. Alfred porta la main droite à sa poche de parka, son regard se décomposa quelque peu. En réalité, il n’avait pas son crucifix. Georges qui avait remarqué son attitude lui indiqua en soufflant qu’il pouvait faire demi-tour sur la place, cela serait plus simple. Jack laissa éclater sa mauvaise humeur en lançant quelques noms d’oiseaux à son ami. Ainsi, la rue revit la 4L passer afin que le vieux garagiste aille chercher un autre crucifix en râlant. Cela ne lui prit que cinq minutes, mais cinq minutes de perdues en ce genre de situation pouvaient avoir de lourdes conséquences. Alors que le paysage bourbonnais défilait à l’extérieur, le silence retomba, le but de leur sortie se rappelant à leur bon souvenir. Négociant avec la corpulence de Jack, Georges était un peu tassé, compressé contre la porte passager qui, lui semblait-il, était prête à s’ouvrir à tout moment. Alfred, malgré sa concentration, faisait quelques écarts lorsqu’il tirait une bouffée de son cigarillo.

Heureusement pour eux, la départementale n’était jamais très fréquentée. L’Equipée passa devant deux fermes, ainsi qu’une maison réhabilitée en chambre d’hôte tenue par des anglais. Alfred ne manqua pas d’ironiser à son sujet en lâchant un « peuh, c’te connerie! ». Peu de temps après ils arrivèrent à destination, la ferme des « Boucaniers ».

Comme ils le craignaient, le portail était fermé. De la boîte à gant rayée, Georges sortit un fusil à canon scié qu’il eut du mal à extraire, ce dernier étant coincé. Les trois hommes restèrent silencieux, fixant le portail. Jack brisa le silence.

– Si ça se trouve tu déconnes, ils sont bien vivants en train de regarder je ne sais quelle truc à la télé.

Alfred abaissa sa fenêtre qui s’ouvrit en couinant, pour y jeter son mégot dans le fossé à proximité. Il rata son coup et le vent emmena ce dernier dans la haie. Il jura avant de répondre à son ami.

– Ecoute, le portail est fermé depuis deux semaines et quand j’suis passé avec les gars de la commune, j’ai aperçu le commis pâle comme un cul calfeutrer la fenêtre de la cuisine avec des planches…. Si y voulaient juste regarder la télé sans être emmerdés par le soleil, y a un truc qui s’appelle des rideaux.

– Et merde! répondit Georges, ils ont un gardien en plus.

Alfred qui avait toujours la main tendue vers la fenêtre en question, tira un autre cigarillo.

 – Et ouais putain, ça c’est la merde, ça veut dire qu’il va falloir un peu pétarader sans doute. Souligna le cantonnier en posant un regard sur le fusil.

– On est peut-être pas obligés de faire ça aujourd’hui émit Jack dans le doute.

– Eh, tu s’rais pas en train d’te dégonfler monsieur le mécanicien? Lui lança avec un petit coup de coude Alfred. « Ça m’semble au contraire le meilleur jour, c’est dimanche, y a quasiment personne aux alentours, on pourra faire ça proprement et discrètement. »

– Ouais mais peut-être qu’on a du rab, ils en sont à quel stade? Demanda Jack.

Alfred tira une nouvelle bouffée et montra du doigt les étables un peu plus loin derrière le portail.

– Y en sont à qu’ils ont déjà siphonné tout leur bétail, ça veut dire que c’te nuit ou la prochaine grand max, y vont commencer à croquer d’autres bounhoumes du coin.

– Il a raison. Souligna Georges, ce qui termina de clore les éventualités. Si il fallait agir c’était maintenant d’autant que la lumière déclinait vite.

– Ok mais d’abord je dois pisser. Finit par acquiescer Jack.

 

Les trois hommes sortirent de la voiture, les suspensions de cette dernière  les en remercièrent par un grincement. Jack se soulagea dans le fossé opposé en lâchant  un juron car le vent l’arrosa copieusement de sa propre urine. Dans ce laps de temps, Alfred sortit de l’arrière de la fourgonnette une pince Monseigneur et un pied de biche en jetant un coup d’œil aux alentours, ça ne coûtait rien. Il crut apercevoir au loin des chasseurs, si il y avait coup de feu, il ne serait pas suspect en ce dimanche après-midi. Le soleil refit son apparition et cela pouvait paraître bête mais ces quelques rayons redonnèrent un peu de courage à l’équipe. Georges maintint la chaîne du portail tandis qu’Alfred la coupa. Ils prirent soin de le refermer et le caler avec une grosse pierre afin que celui-ci ne reste pas ouvert. Ils avancèrent de quelques mètres et tendirent l’oreille. Le petit bâtard qui avait l’habitude d’accueillir les étrangers ne vint pas cette fois-çi, d’ailleurs, le chien ne viendrait plus jamais. Malgré le vent, ils purent aussi déceler l’absence totale de chants d’oiseaux. Comme l’avait mentionné le cantonnier, plus aucun son ne parvenait de l’étable. En cet instant, seul un sentiment de désolation s’emparait de l’endroit. Jadis, la ferme avait été très active, à présent ce n’était plus qu’un tombeau.

A partir de cet instant précis, seul les codes gestuels qu’ils avaient mis en place entre eux étaient de vigueur, hors de questions de parler. Ils continuèrent d’avancer, Jack avait la sacoche en bandoulière, Georges tenait ferment le fusil à canon scié, Alfred avait les mains dans les poches de son manteau. Les chasseurs se présentèrent devant la porte, ils restèrent ainsi environ une minute, cherchant à percer l’activité intérieure. Comme Alfred l’avait avancé, tous les volets étaient fermés. Il tenta un bref coup d’œil au travers des interstices de ces derniers, sans trop s’approcher, on ne savait jamais, et pu s’apercevoir que les fenêtres étaient intérieurement renforcées par des planches qu’on avait clouées sans doute à la hâte. Georges s’appliqua du Baume du Tigre juste au-dessous des narines, d’une main agile, il avait oublié de le faire juste avant et se hâta de reprendre son arme en main. Alfred regarda ses deux amis, chacun fit un signe de tête, puis frappa à la porte. Après avoir attendu quelques minutes, il toqua de nouveau, plus fort. Cette fois ci, ils entendirent nettement des pas rapide dans l’escalier, ils semblaient descendre, à leur rencontre. Jack passa sur le flanc gauche du bibliothécaire de manière à ce que l’on aperçoive pas l’arme à feu si l’un des occupants tentait de jeter un œil à travers les volets. Alfred s’écarta de la porte. Il y eu un instant de flottement et bien qu’ils ne le virent pas directement, des yeux regardaient bien depuis les interstices des volets. Finalement une voix étouffée se fit entendre de l’autre côté de la porte.

– Qu’est-ce que c’est? » Alfred pris la parole.

– Désolé d’vous déranger mais on était en train d’chasser et y a eu un problème, vous pouvez nous aider?

– Foutez le camp, on aime pas les visites et puis c’est une propriété privée!

La tension était montée d’un cran supplémentaire, chacun d’eux avaient les mains moites. Alfred tenta autre chose, c’était grossier mais ça pouvait peut-être marcher.

– En fait un d’mes copains est blessé, il a perdu du sang et on a pas envie d’appeler les flics parce que, comme qui dirait, on a un peu trop picolé pendant le repas.

 

Le sang était un argument. Si il avait deviné juste, c’était le gardien qui se trouvait derrière la porte et il ne manquerait pas de vouloir faire le malin auprès de ses maîtres comme quoi il leur amenait un truc à béqueter. De l’autre côté, l’homme s’activait, des loquets se déverrouillaient, Georges tendit le fusil à hauteur de visage.

Dès qu’il aperçut le visage blafard du gardien il tira, deux coups, sans hésiter, arrachant une partie de la tête de la victime qui tomba en arrière, tapissant un tableau de l’entrée représentant une scène de chasse. Jack et Alfred s’empressèrent de pousser la porte, la laissant ouverte afin que toute source de lumière puisse entrer. L’odeur les prit à la gorge. Georges était un peu moins incommodé dû à son baume mais malgré cela, il pouvait lui aussi percevoir l’odeur fétide. Si ils avaient vu juste, les vampires devaient être au nombre de 3  mais ils ne savaient pas où ils pourraient se trouver. La lumière du jour à présent déclinante les incita à faire au plus direct, brûlant quelque peu les usages habituels qu’ils avaient instauré. Le garagiste arracha les planches obstruant les fenêtres, la pièce qui semblait servir de salle à manger s’éclaira peu à peu. 

Il y avait une imposante télévision cathodique, une table recouverte d’une toile cirée sur laquelle trônait les restes d’un repas que le gardien n’avait pas débarrassé. Alfred, qui ouvrait la sacoche, resta quelques instants le regard dans le vide face à un fauteuil de velours. Il connaissait les gens qui habitaientt ici, dans quelques instants il devrait sans doute les faire reposer en paix. Il tira une bouffée du nouveau cigarillo qu’il avait pris le temps d’allumer, décidément il fumait beaucoup et il avait trop mangé du délicieux repas de ce midi, il se sentait lourd. Alors que Jack terminait d’arracher la dernière planche, un bruit se fit entendre à l’étage au-dessus. Parcouru d’un frisson, Georges pointa instinctivement son fusil vers le plafond. Hors de question de se précipiter, il fallait continuer à procéder méthodiquement malgré tout. Prudemment, il poussèrent la double porte qui menait vers le salon, comme prévu il n’y avait rien hormis la poussière qui s’était étalée sur la petite table basse et les meubles divers. La cuisine, elle, était le théâtre d’une boucherie où des restes que le gardien n’avait pas encore mis aux ordures trônaient tels des trophées de fortune. Que mangeait ce pauvre hère si ce n’est la promesse d’une potentielle immortalité de la part de ses maîtres? Mieux ne valait pas le savoir. Le rez-de-chaussée semblait donc sécurisé, tout du moins en apparence. Deux options se présentaient, la cave ou l’étage. « Ils » pouvaient fort bien se reposer aux deux endroits séparément. Pourtant hors de question de se séparer, même au tout premier stade, le vampire était puissant par rapport à un être humain.

Un coup sourd leur parvint de l’étage, aussi décidèrent-ils de le vérifier avant la cave. Georges, toujours propriétaire du fusil, en changea les munitions pour y insérer deux cartouches composées d’argent, d’eau bénite et d’ail. Même si ça ne les tuait pas, leur progression en serait ralentie. Un autre coup sourd, suivi de gargouillements divers. La tension était palpable, à son comble. Alfred éteignit son cigarillo sous la semelle de l’une des ses chaussures de jardin puis le glissa dans la poche zippée latérale de son pantalon. Ils atteignirent le couloir de l’étage, le bruit sourd se manifesta de nouveau, suivi de plusieurs gargouillis qui semblaient provenir de la chambre juste à côté.  Ils se présentèrent devant la porte, opérant de la même manière que celle de l’entrée. Le bibliothécaire maintenait l’arme à hauteur de visage, Jack et Alfred tenaient des pieux qui glissaient de leurs mains à cause de  la transpiration. Le garagiste manœuvra doucement la poignée et ouvrit la porte. Durant  l’ouverture de cette dernière, qui semblait durer une éternité, Georges avait le doigt posé sur la gâchette, prêt à faire feu. Il le relâcha et fit signe à ses comparses qu’ils pouvaient respirer. Les trois créatures étaient bien là, tout du moins le déduisaient-ils car tout ce qu’ils voyaient en cette instant était une grosse main, sale et blafarde qui essayait d’ouvrir la porte de l’armoire dans laquelle ces dernières étaient coincées. Le gardien, qui n’était autre que le commis de la ferme, avait jugé bon de clouer les portes les renforçants par des planches. Alfred jeta un coup d’œil par la fente des portes et les aperçut, la mère , le mari et le fils . A son approche les gargouillements se firent plus intenses et pour calmer tout ce beau monde le vieux cantonnier aspergea le meuble d’eau bénite. Il n’y avait aucune malice dans ses gestes, juste la volonté de cesser ces bruits atroces. Alfred connaissant la famille il était sûr que la maison était dépourvue d’autres habitants, restait à savoir que faire. Ils sortirent du couloir et décidèrent, la lumière extérieure déclinante, que l’incendie restait la meilleure des solutions. Malgré tout ça resterait « un sacré bordel, maintenant comme après » souligna Alfred.

Ainsi après avoir cloué une planche supplémentaire à l’armoire, ajouté une commode juste devant histoire de sécuriser un peu plus la situation, ils s’activèrent. Tout d’abord, la cave fit l’objet d’une inspection qu’ils n’avaient pas réalisée au début, comme les trois chasseurs le pensaient, il n’y avait effectivement rien mais ils y trouvèrent de quoi fomenter un alibi en la présence d’un fusil de chasse similaire à celui que Georges avait employé. Le scénario était simple, ils s’imaginaient déjà en train de lire le fait divers dans le journal du coin, « Le Montagnard »: Le commis enferme ses employeurs dans une armoire avant de mettre le feu à la maison et de se donner la mort. La chance faisait partie d’un des composants essentiels de leur plan, ça pouvait marcher si elle décidait d’être avec eux. Deux feux furent allumés, le premier à l’étage, dans la chambre où se trouvaient les trois vampires. Alfred pris soin de récupérer le crucifix qu’il avait apposé en même temps que la planche supplémentaire. L’autre foyer fût démarré dans la cave. Pour déclarer les incendies ils avait prélevé du fioul dont les habitants se servaient pour le chauffage. Avant cela, Georges plaça le fusil trouvé plus tôt dans les mains du commis. Bien que l’incendie se chargerait de nettoyer le tout, mieux valait quand même mettre en place une mise en scène convaincante au cas où

Avant de mettre le feu à la maison, les trois hommes prirent soin de nettoyer toute trace de leur passage, y compris le mégot qu’Alfred avait balancé, mais aussi jeter un coup d’œil dans les dépendances, l’étable, où ils ne découvrirent rien d’autres que des cadavres d’animaux vidés de leur sang ainsi que du matériel ayant trait à l’activité agricole. Assurés que le feu prenait bien, ils se hâtèrent de quitter les lieux, tassés dans la 4L fourgonnette. La voiture s’arrêta un peu plus loin, ils en descendirent, silencieux, la nuit était à présent tombée. Georges s’alluma une cigarette en tremblant un peu, ses amis fumaient déjà l’un de ces cigarillos dégueulasses. Ils regardaient les flammes qui commençaient à s’élever du toit, Jack jeta un regard à Alfred avant de lui demander:

– Tu les connaissais bien?

Quelques secondes passèrent avant qu’il ne lui réponde

– Un peu, il m’arrivait de discuter avec le père avant qu’il ne tombe malade et ne reste cloîtré. Son fils était un trou du cul, juste bon à draguer les gonzesses et branlait pas grand chose à la ferme, c’est pour ça qu’ils avaient embauché un commis. Le gars savait pas lire mais il bossait bien, ça m’arrivait aussi de le croiser, il était pas méchant.

Comme pour compatir, Georges acquiesça de la tête. Alfred émit l’un de ses sifflements en maugréant entre ses dents:

– Bordel…. Quel bordel.

 

Georges finit par revenir au côté pragmatique.

 

– Et on ne sait toujours pas d’où tout ça est parti.

 

Jack tira son cigarillo de la bouche, dans un geste de mauvaise humeur:

 

– Est-ce qu’on sait comment le premier vampire a été crée? Non! Et on s’en fout de savoir comment. Ce qu’on sait c’est que ce foutu truc est à Nabret et que c’est sans doute pas fini.

Alfred leva les mains.

– Oh là les gars, j’veux bien m’empailler mais à condition qu’ce soit d’vant un kir. On va aller au Bilboquet voir c’grand couillon. Y va faire la gueule parce que le Dimanche le bar ferme plus tôt normalement.

Tous les trois validèrent ce choix et remontèrent en voiture, en direction de Nabret, dans une obscurité qui se voulait plus épaisse encore. Alfred émit encore son « peuh, c’te connerie les rosbeefs » en repassant devant la maison d’hôte non sans jeter son mégot en direction de la demeure, par la fenêtre qu’il venait d’ouvrir….


 

mardi 30 juillet 2024

Automne prohibé

1987. C’est l’un de ses matins d’automne où les arbres se préparent à essaimer leurs feuilles laissant ainsi Dame Nature  revêtir sa robe aux teintes mordorées. Le jour de Mercure voit mon père brusquement de très bonne humeur, ce dernier est d’ailleurs  bien décidé à m’emmener jusqu’à l’enseigne Majuscule où nous avons fait l’acquisition de mon Amstrad cpc 464.

Je ne vais certainement pas me plaindre de cette soudaine opportunité qui me permettra, peut-être, d’obtenir un nouveau jeu! Cependant, sur le chemin, la phrase énigmatique lancée à la volée par mon paternel effleure mon sixième sens (non, Bruce Willis n’est pas dans la voiture et ne le sera pas non plus en 1999): « J’ai peut-être un autre bon plan concernant les cassettes destinés à ton micro-ordinateur ». 

Vois-tu des Amstrad cpc mon petit?

Le paysage Bourbonnais défile et bien que ces mots résonnent encore en mon esprit, les champs s’accaparent bientôt mon imagination. Si l’architecture de ce centre-ville m’échappe désormais, prisonnière du temps qui passe et d’une mémoire quelque peu érodée, je me souviens encore nettement de la tour Jacquemart ainsi que de la brasserie dans lequel mon père m’emmenait déjeuner parfois. Mais là n’est pas notre destination

La voiture stationnée, nos pas se perdent au fil des rues, des visages inconnus se croisent au gré des chemins de vie et bientôt je le vois, ce « fameux bon plan ». Malgré mes protestations à peine entendues, voir pas du tout en réalité, je me prépare à être gêné. Comme je l’ai prévu rien qu’en voyant l’enseigne du vidéoclub, le gérant des lieux nous regardent avec des grands yeux répondant à peine poliment à mon père lorsque celui-ci lui demande où sont les cassettes pour Amstrad cpc 464. Je me souviens encore de sa chemise ouverte, de sa chaîne en or, son chewing-gum faisant des allers-retours d’une joue à l’autre ainsi que de ses cheveux poivre et sel. 

La tour Jacquemart

A n’en pas douter l’homme fait plutôt penser à un souteneur qu’à un boutiquier. La situation n’a rien de dramatique mais se veut suffisamment embarrassante pour que mon autre moi décide d’aller faire un tour dans les méandres de la 464ème dimension. Quelques minutes plus tard, nous voici de nouveau arpentant les trottoirs, la bonne humeur en moins. Sans mot dire, maussade à mon tour, je suis mon paternel, quasiment certain que le chemin du retour nous attend. 

Pourtant, c’est bien la moquette orange du magasin Majuscule que foulent bientôt mes pas. D’un geste bref, je suis invité à aller fureter dans le rayon dédié aux jeux Amstrad cpc. Une fois de plus j’ai l’impression d’être face à un coffre au trésor grand ouvert, je ne sais où donner de la tête et mon dévolu se portera finalement sur Prohibition d’Infogrames édité en 1987

Sur la route (toute la sainte journée sur un autre plan peut-être) nous menant vers notre « home sweet home », mes yeux souriants n’auront de cesse d’examiner le boîtier cristal sous toutes ses coutures (sans Charlélie).  En réalité j’ai hâte d’incarner ce mercenaire qui doit mettre hors d’état de nuire les différents criminels endurcis nous visant depuis leur abri. Si vous êtes un vétéran de l’Amstrad cpc vous savez déjà de quoi je parle, un classique instantané, avec sa musique et son compte à rebours stressant. 

Il me faudra pourtant attendre la fin du repas pour insérer la cassette parée de son étiquette rouge dans le lecteur du cpc 464. La première chose qui me vient à l’esprit en évoquant Prohibition c’est sa musique ainsi que son ambiance. De mémoire, j’étais parvenu à entrer dans le bureau du boss mais ma mémoire me jouant parfois des tours je ne peux l’affirmer à Cent Pour Cent.

Le score est lui aussi prohibé!

Je me souviens néanmoins très bien de ces petits saligauds parfois très bien cachés et ceux retenant un otage. Je reviens très peu désormais vers Prohibition, cependant j’en garde un souvenir particulier, me remémorant ce jour d’automne 1987.