mardi 8 août 2023

Leus Warous

C’est un peu toujours la même chose. Les nuits de pleine lune se suivent et se ressemblent. Je les attends, là, dans ce vieux fauteuil au cuir souffrant avec son rembourrage hémorragique. Comme à son habitude, elle passera ta tête par l’encadrement, m’offrira un de ses timides sourires puis refermera la porte pudiquement. 

C’est très douloureux, ça l’est toujours. Parfois je perds des dents, mes mains se déforment comme si elles se brisaient… la liste serait longue pour décrire ici toutes les souffrances que j’endure. A chaque fois je me fais la promesse de ne pas hurler mais en vain, la douleur est trop forte. Si j’écris ces lignes c’est surtout pour me souvenir, histoire d’avoir des repères pour la prochaine fois car oui, je perds la mémoire, pas seulement une fois transformé mais également après. Elle me dit que c’est normal, que je ne dois pas m’en faire, qu’elle sera toujours là quoiqu’il arrive. 

Lorsque je rentre, la queue entre les jambes, juste avant que l’aube n’efface les étoiles, elle m’attend. Elle panse mes plaies, m’aide à me laver et il arrive que nous fassions l’amour si je ne suis pas trop épuisé. La plupart du temps je m’endors dans ses bras, nu, elle vêtue en tout et pour tout de bandes de tissu couvrant pudiquement son anatomie. Il me semble que ces sous-vêtements ne sont plus d’actualité, enfin, je crois car je ne connais pas très bien le nouveau monde. Juste avant que le sommeil n’arrive, mon regard se perd sur l’étoile de Sirius s’estompant dans les lueurs du jour baigné par l’aura de son parfum, subtil mélange de fleurs et de mort. Je sens ses longs cheveux noirs sur ma peau, ses bras qui m’enserrent, elle me parle mais je ne comprends rien de ce qu’elle dit, je suis trop fatigué. 

C’est dans l’après-midi que je me réveille, seul. Elle rentrera un peu plus tard avec un sac de provisions en papier garni de nourriture. Il y a surtout des légumes et des aliments de base, « c’est bon pour ce que tu as » me dit-elle à chaque fois en souriant. Après un repas léger, elle inspecte de nouveau mes plaies et y applique un baume de sa confection en murmurant des choses sans doute inaudibles pour l’oreille humaine.  Elle essaye de me faire rappeler les évènements de la nuit précédente. Parfois des images, des odeurs reviennent. Le béton, les bâtiments, les fumées toxiques, les pièges…. Il y en a partout. Je me heurte contre eux, mes pattes sont entravées, les fumées des cheminées d’usine obscurcissent le ciel comme lors d’une ère sombre. Mais il y a quand même le parfum de l’humus, les chouettes qui hululent ou encore les chiens qui jappent en se cachant à mon passage. 

Il y a aussi l’odeur du sang, je bouffe souvent des gallinacés (il me reste parfois des plumes dans la gueule ce qui ne manque pas de la faire rire lorsqu’elle me les retire) et parfois des êtres humains. Lorsqu’elle en prend connaissance, je peux être sûr qu’elle reviendra avec le journal local afin de consulter les faits divers. En général, il est fait état d’une personne qui s’est fait attaquer par une bête sauvage. Je lis toujours ces passages avec appréhension, n’ayant aucun doute sur le fait que mon autre moi est incriminé. Elle pose alors sa main gauche délicatement sur moi et malgré l’absence de chaleur de sa peau, cette dernière me rassure. 

Parfois, souvent même, lorsque j’attends « l’instant » sur mon fauteuil, je me rappelle les nuits d’encre, de celles qui laissent briller les étoiles en leur sein, loin de la pollution lumineuse actuelle, loin du béton. Je me revois, comme si c’était hier, me rouler dans ce champ de fleurs bleues, l’origine de mon mal. Lorsqu’elle s’isole à son tour pour travailler ses décoctions, certaines effluves me rappellent ces contrées fleuries… à présent elles ne sont plus et les champs ont été remplacés par des terrains agricoles exploités à outrance, des piscines privées, des grands magasins où je ne sais quoi encore. Les lieux dans lesquels j’évolue à présent me sont hostiles…. Mais je la sens, là, derrière les nuages, elle arrive, j’ai déjà mal aux mains…. Avant d’oublier, je suis Archibald Lubin et, pour sûr, je suis d’ailleurs.

 Illustration inspirée par Skyrim: Dawnguard de Bethesda Software, initialement dédiée pour l'un de mes autres textes.

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