mardi 22 novembre 2022

Six hommes pour sauver l'ennui - Seconde partie

 1988/1989.

La nuit a été longue, si longue, emplie de songes bordés par une jungle tropicale étouffante, les échos d’une musique ramenant l’âme à d’ancestraux rituels, une peur instinctive commune à toutes les espèces y compris l’homme: Celle d’être pris en chasse par un prédateur. Depuis cette sortie au cinéma en 1987, les effluves (qu’il ne faut en aucun cas croiser) de mon imagination se sont vues accaparées par d’autres œuvres. Le ciel étoilé, sourd aux requêtes humaines (Jodie Foster et Robert Zemeckis nous prouveront pourtant le contraire en 1997),  étend paisiblement son savoir sur les champs alentours, nul signe d’un prédateur en quête de trophées morbides. 

Il vous faudra être indulgent quant aux prochaines lignes, les contours de mes souvenirs se dessinant ici étant plutôt flous. Pourtant, au détour d’une page du magazine réservé aux abonnés Canal +, une nouvelle remet la machine en marche: La diffusion prévue de Predator ce mois-ci!  Discrètement, tout du moins c’est que je crois, j’embarque le magazine… Ma mère hausse les épaules en me voyant faire, ne jurant que sur son programme TV « Télé 7 jours ». Je ne suis donc pas destiné à devenir un « American Ninja » comme fut Michæl Dudikoff, la Cannon Films ne m’appellera sûrement jamais! Dans ma chambre, un xénomorphe sortant d’un poster à grand renfort d’acide semble faire grise mine. Ce dernier se présente sous un format différent des autres, toute en longueur, je l’ai accroché juste à côté de mon lit (faites de beaux rêves) accompagné d’un « quelle horreur! » soufflé par ma mère. L’annonce d’un nouveau champion dans l’arène ne lui plaît guère mais convient fort bien à Ripley que ce combat ne concernera pas. Terminator s’en fiche, Rocky Balboa, lui, continue impassiblement de lacer ses chaussures derrière la porte en vue d’un futur match. Je découpe la page dédiée au Major Dutch et l’appose fièrement sur le mur, juste à côté de mon Amstrad CPC histoire d’être sûr de ne pas oublier la date de la première diffusion… Je sais d’avance qu’il n’y aura aucun risque.

Une cassette, un prédateur.

Les semaines s’écoulent, les jeux défilent sur mon cpc, le magnétoscope émet toujours la même plainte lors de l’insertion d’une cassette. D’ailleurs celle de Tarantula, long-métrage réalisé par Jack Arnold, enregistrée lors de la deuxième partie de la dernière séance diffusée un mardi soir de 1986 m’a lâché il y a peu de temps. A sa décharge, je l’ai visionné un nombre incalculable de fois. Il est temps qu’un successeur viennent à sa rescousse et j’ai spécialement dédié une cassette neuve de marque « Scotch » pour celui-ci (de la bouse cette marque comme me le fera remarquer un membre de la famille versé dans le métier de la vidéo). 

C'est pas très gentil ce que tu as dit sur notre jeu dans ta vidéo...

Il me faut encore user d’une faille temporelle, de quelques jours tout au plus. Ma curiosité a finalement été assouvie, j’ai enfin pu voir « Predator » de John Mc Tiernan avec Arnold Schwarzenegger, le film devenant instantanément culte pour moi, la musique d’Alan Silvestri ayant fait le reste. J’ai attendu l’extrême fin du générique pour être absolument sûr d’avoir correctement effectué l’enregistrement, m’empressant ensuite d’apposer ma marque sur la cassette avec mon écriture manuscrite quelque peu incertaine et en brisant la languette, empêchant une éventuelle erreur d’enregistrement. Comme par exemple l’écrasement de Dracula Prince des ténèbres (Christopher Lee) avec un épisode des cinq dernières minutes. 

Les dimanches matins suivants seront les témoins circonspects d’une cérémonie qui me sera propre: le visionnage systématique de Predator, voyant le major Dutch et ses hommes s’enfoncer dans la jungle hostile, poursuivi par le chasseur extra-terrestre. Parfois, les explosions du film sèment le signal péritel, terminant dans un festival crypté le temps de quelques secondes tout comme la cassette qui parfois laisse une légère bande disgracieuse balayer l’écran. Cela ne me gêne pas. Vêtu de ma robe de chambre élimée, affalé dans le canapé familial tailladé par des générations félines, je suis trop absorbé par Billy ayant déjà compris que leur poursuivant n’est pas humain. Les moustaches de Carl Weathers et Jesse Ventura n’y changeront d’ailleurs rien.

Allez le mec du blog, avoue que tu es jaloux de nos moustaches hein!

Le film terminé, la télécommande aux boutons bringuebalants pour certains se charge d’envoyer la commande de rembobinage du film. Pendant ce temps, mes pensées se perdent sur le tapis passé, style ancien, en provenance de La Redoute. Quelques braises échappées d’une cheminée trop affamée et confortée par un rude hiver, ont grignoté l’ouvrage textile à certains endroits. La fonction éjection du magnétoscope vient interrompre ma contemplation de fortune, je dois me rendre à l’évidence: la cassette ne se rangera pas toute seule! Quelques minutes après, ma robe de chambre laisse mes doigts sentir l’air ambiant à travers ses poches percées et c’est d’un pas traînant que je me dirige en mon sanctuaire. On me suit, j’en suis persuadé, cependant il ne s’agit pas du prédateur, enfin si mais ce dernier ne s’intéresse qu’aux pantoufles de la maison. Il s’agit de mon chien, toujours à l’affût pour jouer. Après quelques échanges de balles avec lui sous la véranda, je me décide à retrouver mon Amstrad CPC. A quoi vais-je jouer? L’adaptation de Predator est exclue, d’ailleurs j’y ai joué très peu… Disons que je souhaitais éviter les répétitions avec le film (ma vidéo concernant la compilation Dynamite de Ocean se chargera de discréditer la mauvaise foi évidente de ces derniers mots).

Mon regard dévie vers la fenêtre qui m’offre le spectacle d’imposants nuages blancs traversant paresseusement le ciel bourbonnais. La météo du jour semble vouloir tenir ses promesses. Mon attention revient à la compilation « explosive » … « Gryzor »… Oui, c’est parfait! Néanmoins, Lance doit arriver par la compagnie bande magnétique, vol 464. Qu’à cela ne tienne, mon imagination a ainsi le temps de vagabonder par-delà l’imposant noyer et ses feuilles bordant ma fenêtre… Son écorce m’intrigue, elle semble avoir été en mouvement le temps de quelques secondes… Un camouflage optique? Tout près de mon cpc, la silhouette du Major Dutch Schaeffer aux abois me fait comprendre que je n’ai pas grand chose à craindre.

Ouais ben j'arrive, je suis sur cassette je te rappelle!

Cependant, un autre prédateur que l’on ne peut arrêter est en route… Son nom est « dimanche après-midi » accompagné par son acolyte « fin de week-end » et comme dirait Scwharzy il n’ont pas « une gueule de porte-bonheur ».

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