1982. Le souvenir se veut épars, confus, tout au plus ai-je quelques images néanmoins plus insistantes qu’une persistance rétinienne. En cet instant, je tiens fermement une main, fine, élégante, et si je lève un peu la tête la grisaille ambiante me permettra de dessiner le visage de celle qui tient la mienne. Il s’agit de celui de ma sœur, plus âgée que moi, majeure. En cet instant c’est sans doute la plus jolie femme que je connaisse avec sa silhouette élancée et ses cheveux blonds cendrés tombant en cascade sur ses frêles épaules.
En s’apercevant que je la regarde d’un air interrogateur, elle me sourit mais reste en alerte au milieu de la foule qui se veut plutôt dense devant ce cinéma s’apprêtant à diffuser d’ici peu E.T réalisé par Steven Spielberg. Je suis un peu intimidé. Hormis le petit écran familial je ne connais rien d’autre, qui plus est la ville avec sa densité d’âmes à la ronde ne me sied guère. Pourtant je m’apprête là à vivre ma toute première séance de cinéma accompagné d’une présence protectrice que je ne verrai quasiment plus par la suite.
Au fur et à mesure, la file d’attente s’étiole, bientôt l’humidité du trottoir n’est plus qu’un souvenir inconfortable et nous voici devant un guichet. Mon regard se perd un peu partout, sur les visages fermés, sur les affiches des autres longs-métrages dont je ne me souviens absolument pas. M’ayant délaissé le temps d’acheter les places, la main de ma sœur reprend son rôle de guide, les traits fins de son visage orné d’un sourire m’invitant à la suivre. J’aimerais vous dire que je me remémore la couleur des sièges et places précises mais cela m’est tout bonnement impossible. De mémoire je nous revois à peu près dans la rangée centrale et me sens sacrément perdu face à ce gigantesque écran.
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Ne pas reproduire à la maison... |
Alors que la salle est encore sous le joug des lumières jaunâtres crues dont elle se débarrassera une fois plongée dans l’obscurité, mon regard est attiré par un ouvreur au panier chargé de friandises. Ma sœur ne manque pas l’occasion pour aller à sa rencontre, sa chevelure flottant parmi les silhouettes pour certaines encore indécises quant à leur siège définitif. Bientôt, j’entends quelques protestations, un individu à la courtoisie inexistante semble vouloir lui subtiliser sa place parmi les gourmands. « Hey mec, tu la connais pas ma sœur! » Ai-je envie de crier mais je suis bien trop timide pour ça. Elle ne se laisse pas faire et envoie paître son adversaire. Ses yeux marrons indisposés reprennent les atours de la radiance alors qu’elle se tourne de nouveau vers moi, des treets dans les mains. Ma dentition n’est pas très enthousiaste face à ce déluge de sucre mais qu’à cela ne tienne, ce n’est pas tous les jours qu’on assiste à la sortie d’un film surtout avec une sœur dont j’ai appris l’existence depuis peu!
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Fond dans la bouche, pas dans la main! |
Le brouhaha des conversations se substitue bientôt au silence alors que les lieux empruntent des atours ténébreux. Hormis quelques paquets de bonbons dissipés, les spectateurs sont absorbés par le film qui commence (après quelques publicités de l’époque concernant les magasins locaux). Le son tonitruant s’empare de mon être mais fait place, quelques plans plus tard, à l’émotion lorsque E.T semble exhaler son dernier souffle sous le regard d’Eliott dévasté. Ma sœur ne me voit alors pas pleurer et c’est tant mieux, de quoi aurais-je l’air?!
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Lorsque tu es décoiffé par le son... |
La séance terminée, les derniers noms du générique disparaissant au profit des plafonniers implacables qui font leur grand retour, je m’aperçois que ma sœur ne cache pas son émotion. Scrutant mon visage, elle me pose la question que je redoute en apposant sur mon visage, d’un geste délicat, l’une de ses mains: « et toi tu n’as pas pleuré? ». Ma tête émet un geste de dénégation… les yeux gonflés. Son sourire est sans équivoque, elle a décelé ma supercherie!
Nous voici de retour sur ce trottoir aux accents de bitume. D’ici quelques instants le paternel viendra nous chercher. La voiture comptera un passager supplémentaire, prenant la forme d’un souvenir inoubliable lié à cette séance.
Cet article, dédié à ma sœur, a été écrit en écoutant la chanson "Knock me out" de Linda Perry
Salut Temps Nyx. J'avais vu E.T au cinéma moi aussi. En famille. J'étais très jeune également. Je l'avais revu lors de sa ressortie en 2002 avec des effets spéciaux retravaillés. Une très belle histoire.
RépondreSupprimerSalut Jack. Je ne savais même pas qu'il y avait une version avec des effets spéciaux retravaillés (un peu comme pour Star Wars j'imagine). Un film marquant effectivement :)
SupprimerJ"avais également vu E.T. au cinéma de Nevers. Cinéma qui m'avait transporté sur la planète Hoth deux années plus tôt, et il me semble que ce fut alors le premier film que je suis allé voir au cinéma, avec mon père (mais je me demande si je n'avais été voir un Eliott le dragon auparavant). Je me rappelle l'émotion que ma procuré E.T., les scènes en bicross (terme d'alors pour parler du BMX), l'émerveillement d'avoir un ami extraterrestre, le jeu d'Henri Thomas, le moment où E.T. est sur le point de mourir et bien sûr la scène d'adieu. Spielberg était alors au sommet de son art.
RépondreSupprimerAu travers de tes témoignages nos propres souvenirs ressurgissent, et de tes émotions on peut entrapercevoir les aléas familiaux que tu as traversé.
Salut Nemofox. Ahhhh le bicross! C'est vraiment super de lire les différents souvenirs de chacun, comment nous avons découvert les mêmes films au travers d'expériences différentes. Merci.
RépondreSupprimerAh mon cher temps nyx, cela faisait plusieurs mois que le temps ne m’avait offert la liberté de venir flâner parmi tes souvenirs d’enfances, ces madeleines de Proust qui ne prennent pas une ride. On ressent beaucoup de chose dans ce texte , notamment une sorte de mélancolie au sujet de la sœur qui t’accompagnait si chaleureusement ….
RépondreSupprimerAu plaisir temps nyx…. À bientôt peut-être
Mike FR / M.BASTIEN | NLS
Salut Mike et merci pour ton commentaire, heureux de te revoir dans le coin :)
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